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L’ombre d’un doute

"L’homme Irrationnel" de Woody Allen (2015)

lundi 9 novembre 2015, par Sébastien Bourdon

Cela fait si longtemps que l’on est fidèle à Woody Allen que lorsque le film commence, on est immédiatement gagné par une sensation de familiarité qui va jusqu’à la police de caractères utilisée pour le générique. Et évidemment encore, l’ouverture de l’opus se fait avec, en fond sonore, un inévitable jazz qui craque (quoique, pour une fois, le morceau soigneusement choisi par le cinéaste dans sa discothèque est plus binaire que ternaire, avec un swing qui décoiffe – « The In Crowd » Ramsey Lewis Trio).

Et puis apparaît Joaquin Phoenix au volant de sa voiture, négligé, fatigué, mais sublimé par la photographie toute en teintes sépias de Darius Khondji. « Terra cognita ! » se prend à crier intérieurement le cinéphile, pour peu qu’il soit latiniste (distingué, forcément). Et puis, après avoir été aussi facilement embarqué, l’auteur de ces lignes doit avouer un sentiment de relative déconvenue à l’issue de la projection.

C’est un conte cruel de la quarantaine dépassée qui nous est raconté par Woody Allen, ce dernier convoquant pour l’occasion aussi bien Fiodor Dostoïevski qu’Alfred Hitchcock. Nous sommes sans doute en Californie, à la lumière ça ressemble en tout cas à l’idée que l’on s’en fait (vous vérifierez sur Internet si ça vous chante). L’action prend place à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau professeur de philosophie à la réputation sulfureuse, Abe Lucas (Joaquin Phoenix donc), au sein d’un campus on ne peut plus WASP et bourgeois. Tout le monde est beau et intelligent, mais évidemment très névrosé et en proie à des besoins sexuels et alcooliques pas toujours très bien contrôlés (sublime Parker Posey).

Déglingué et destroy, le nouveau professeur affole les cœurs mais, étant surtout à l’écoute de lui-même, dans le désespoir comme dans le regain de forme, il se révèle incapable d’éprouver un sentiment vrai pour autrui (et il s’en contrefout d’ailleurs). En ces lieux charmants, entouré des créatures qui ne le sont pas moins, il va pourtant retrouver le goût à la vie, mais par des voies que la morale réprouve (attention, spoiler) : le crime.

L’idée est amusante et sur la forme, le film est irréprochable. En effet, pour peu qu’on soit sensible à Woody, c’est admirablement joué, remarquablement filmé et l’ensemble se tient bien sur sa raisonnable longueur (une heure trente, on n’en fait plus des comme ça). Le film n’est toutefois pas très drôle, ne revendique pas à une grande profondeur de pensée et surtout, son personnage principal, pour les raisons décrites ci-dessus, est franchement antipathique et déplaisant, ce qui n’aide pas à s’attacher à l’œuvre.

Seule la délicieuse Jill Pollard, étudiante amoureuse interprétée par la divine Emma Stone, dont le charme agit en continu, sauve la mise, et ce jusqu’au twist final. Son personnage se révèle en effet infiniment plus attrayant que son amant. Amoureuse romantique, mais infiniment moins égocentrique que lui, elle puisera dans son intelligence lumineuse pour se dépêtrer de ce désastre affectif.

Une fois de plus, le monde, si joli soit-il, est donc assez moche, mais surtout à cause des garçons, obsédés qu’ils sont par leur ego et leur quéquette. Ce ne sont toutefois pas des découvertes révolutionnaires que l’on nous déterre ici et il n’est pas interdit de trouver cela un peu court (et le temps de la projection un peu long).

Woody Allen voudrait à chaque fois réaliser un chef d’œuvre, et confesse ne jamais y arriver. Sur ce coup là, c’est probable. Vivement le suivant !

Sébastien

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