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Debout les damnés de la Terre

mardi 23 juin 2009, par Sébastien Bourdon

Si je vous dis que deux d’entre nous sont dûment allés assister à un festival de musique un tant soit peu bruyante... Vous pensez à qui ? Et bien si vous êtes lecteur assidu, vous aurez bien sûr raison ! Il s’agit de Sébastien et de Val... Voici, selon le premier, ce qu’on a raté au Hellfest.

Il est une heure trente du matin. La fraîcheur nocturne bretonne a depuis longtemps gagné sur le soleil estival de la journée. Au fond, sur la scène richement éclairée, Mötley Crüe nous balance son gros show à l’américaine, je suis ça distraitement. Emmitouflé dans mon nouveau sweat zip et capuche dûment estampillé « Hellfest - Open Air », casquette vissée sur le crâne, je regarde un moment le sol sous mes pieds. Je réalise que je suis tellement vanné que je pourrai, en m’y allongeant, plonger immédiatement dans un sommeil musical et réparateur, bercé par le « Girls, girls, girls » des californiens précités. Surtout, je réalise que je suis parfaitement et totalement heureux, comme si par alignement rarissime des astres, tout faisait sens. Et puis Vince Neil, chanteur à la voix de fausset de ces crétins de Mötely Crüe se met à nous expliquer que vraiment, on est trop des « crazy fuckers ». Et je me mets à rire parce que, là tout de suite, tout est vraiment formidable. Je suis diablement vivant et surtout, quelle journée extraordinaire.

Tout a commencé un jeudi après-midi du mois de juin 2009, sur l’autoroute de Nantes (« Highway to Hell » ?). Notre petite équipe de six s’était scindée en deux équipes égales, réparties dans des voitures françaises, parfaitement Messieurs-Dames. Celle que je conduisais vit soudain surgir du côté droit de la route un corbeau noir et hagard au vol maladroit. Je n’ai pas voulu prendre le risque d’une soudaine embardée et même en ralentissant brusquement, je n’ai pu l’éviter. Après le choc, il a disparu dans un vol ultime, laissant traces de sang et plumes sur le phare droit de mon véhicule (rouge pour mémoire). « Stone the crow » aurait chanté Down. Difficile de faire plus Metal comme début de virée. A part peut-être une éviscération de bouc ou la crucifixion de vierges, mais on n’est plus si jeunes.

Arrivés sans encombre dans la maison de gardien d’un château réservée pour l’occasion, nous avons opté pour un dîner dans une auberge de la région. Réunissez six types qui se connaissent parfois depuis près de vingt ans et qui sont unis, avec des chapelles parfois différentes, par une même passion pour le genre Metal et cela donne un dîner où l’on ne parlera que de musique ou presque, sans personne pour nous traiter de grands malades ou trouver cela d’un ennui abyssal (Seasons in the Abyss, n’est-ce pas). Soirée parfaite.

Après une nuit plus ou moins confortable dans notre maison perdue au milieu des vignes - le calme a clairement précédé la tempête sonore en ce qui nous concerne - nous nous éveillons tranquillement, poursuivant les rires bien entamés la veille.

Petit-déjeuner et hop, départ pour la bonne ville de Clisson et son maintenant institutionnel HELLFEST annuel. Pour nous tous une première. Arrivés dans Clisson, vision formidable : les barbares ont envahi la ville. Ils sont partout, aucun espace public n’est épargné de la présence des tee-shirts noirs. Barbes, cheveux longs, tatouages, décolletés pigeonnants, heavy metal surgissant des sonos, ils sont venus, ils sont tous là. On se gare dans une coquette résidence pavillonnaire (à mon avis, ceux-là sont tous partis en week-end) et hop, direction le site.

Parce qu’on est plus si véloce et pour une ténébreuse inquiétude afférente au pantalon adapté à la température - le jour, on aura trop chaud, mais le soir et la nuit, on va avoir froid non ?! - et de retour aux véhicules à cette fin, nous raterons une bonne partie du concert de Karma To Burn, les écoutant en approchant, pour ne les voir de près que pour les deux derniers titres. Dommage, j’adore ce groupe, récemment reformé. Back in the days, je les avais même interviewés dans les locaux de Canal + avec Paul, pour Sounds, du temps où ce fanzine était en papier. Ils m’avaient invité ensuite à leur concert à l’Arapaho et je les avais rejoints backstage où j’avais pu vérifier que oui, dans le stoner, il y a pas mal de drogue !!!

Très vite, par cette journée sublime, nous réalisons que nous venons en fait de nous poser en douceur au paradis. Pour commencer, devant la richesse hallucinante de la programmation - le Metal couvre mille genres et tous sont représentés - nous décidons de picorer, de laisser aller nos pas d’une scène à l’autre (deux : Crüe Fest et Mainstage), d’une tente à l’autre (deux : Rock Hard et Terrorizer). Non sans avoir fait immédiatement le plein de jetons qui permettent de boire : pour mémoire, il est midi et nous ne sortirons de là qu’à deux heures trente du matin. Raisonnablement, nous ne ferons pas le choix très anglais d’attaquer tout de suite lourdement à la bière, boisson que nous goûterons raisonnablement à intervalles espacés dans la journée, optant plutôt pour des points d’eau salvateurs, du Coca et même des soupes de fruits australiennes ( !).

C’est ainsi que nous écouterons en vrac les mamies cuir de Girlschool, les « true norvegian black metal » de Taake (le stoner de la bande hésitera entre atroce et abominable pour qualifier ce groupe) et ferons un premier tour rapide au sein (et quels seins !) de l’Extreme Market, avant une rapide pause crêpes pour une après-midi qui s’annonce féroce.

15 heures 10 et Eyehategod entre sur scène sur un « fuck the police » toujours sympathique, et entame un set comme sorti des marécages du Mississipi : lourdeur doom et brutalité punk. Le groupe comprend notamment à la guitare Jimmy Bower de Down (groupe dans lequel il officie en tant que batteur). Rien d’exceptionnel mais un petit côté fuck the world assez jouissif. Le chanteur avait une mine épouvantable, j’espère qu’il n’est pas mort depuis.

Comme pour beaucoup d’autres concerts, les bords de la scène sont remplis de membres d’autres groupes qui viennent prendre le même plaisir que nous (Phil Anselmo de Down décrochant la palme à ce jeu). Musique de fans pour des fans. Ambiance festivalière particulièrement chaleureuse, typique de cette scène comme même l’excellent le Monde l’a remarqué dans un article de l’édition du week-end.

Un petit coup de Nashville Pussy ensuite : pas grand-chose à en dire, c’est rigolo, ça envoie du bois et la guitariste a de très gros seins. Bref, ce n’est pas très fin, mais de bon ton. J’ai préféré rejoindre la Rock Hard Tent pour un particulièrement brutal set de Soilent Green que j’ai trouvé très savoureux.

Pentagram étant annulé au dernier moment, mon frère et moi-même décidons de jouer les fans béats et de faire la queue comme des blaireaux pour voir se faire dédicacer ce qui nous tombera sous la main par Down et qui sait, peut-être même arriver à se faire prendre en photo avec Phil Anselmo, frontman dudit groupe et qui est, pour la partie masculine de la famille, soyons honnêtes, une sorte de dieu. Je vous renvoie à mes chroniques de Down pour plus de détails mais n’oublions pas que le monsieur officiait auparavant dans Pantera, un de mes groupes favoris de tous les temps et par ailleurs particulièrement reconnu mondialement (on parle de millions d’albums vendus). Pas vraiment de la petite bière donc.

On se retrouve donc allongés dans l’herbe à attendre. On bavarde, il fait beau, on finit par discuter avec ceux qui nous entourent et on est bien. Puis, le groupe arrive, les gens se précipitent et Valentin et moi commençons à nous demander si on va finir par arriver à les voir et si on n’a finalement pas raté Voivod pour quelque chose qui va se transformer en un très mauvais plan. On s’agglutine, on s’approche lentement et on comprend que pour les photos avec les vedettes ce ne sera pas possible, trop de monde. Ca y est notre tour est arrivé, en m’approchant, je mitraille, prend mon carton fraîchement dédicacé. Mû par une passion un peu déraisonnable, j’interpelle Anselmo, « come on Phil, can I get a picture with you ?! ». Il redresse la tête, opine du chef, se lève, me prend par les épaules et mon frère se retourne juste à temps pour faire une photo. Tout ça a pris 15 secondes dans la cohue et on en est sorti sans même comprendre ce qui s’était passé, mais en étant juste totalement bouleversés (j’ai également eu des compliments du batteur Jimmy Bower sur mon tee-shirt de Black Sabbath). On a vu de près et même échangé un minuscule quelque chose avec l’un des plus grands chanteurs du monde. What a day. Sur le tee-shirt d’Anselmo était écrit « we owe you nothing ». Et bien moi, mon gars, je te dois beaucoup !

Le problème est que mon frère a un appareil argentique et que nous ignorons totalement au moment à l’heure où je vous écris ces lignes si cette photo sera réussie ou pas, et même si elle existe. En fait, c’est pas grave, on s’en fout, c’était un très beau moment passé avec mon petit frère et des tas d’inconnus qui méritaient largement d’être fréquentés, une bonne heure, dans un champ breton ensoleillé.

Bon, ce qui est un peu honteux, c’est qu’on a raté Voivod. Je leur dois un concert à ceux-là.

Nous nous retrouvons tous pour échanger nos expériences et décidons de dîner. Les choix sont variés, il y a même un stand sénégalais ! Alors que nous hésitons, jaillissent de la tente Terrorizer des sons, un groove qui font que nous nous retrouvons tout à coup comme happés tous les six à l’intérieur, oubliant éventuels appétits ou fatigues. Kylesa, groupe inconnu de nous tous va littéralement nous scotcher, nonobstant nos éventuels variations de goûts (mineures mais quand même : le sludge stoner doom de l’un ou l’autre ne rejoint pas forcément le black death metal du troisième, quand le quatrième et moi-même sommes prêts à aimer aussi bien le heavy rock californien que le thrash de la Bay Area... c’est bon, vous suivez sachant que le premier et moi, on adore le hardcore 90’s ?). Deux batteries, une chanteuse guitariste, un bassiste chanteur, des voix de l’hyper espace, un groove monstrueux, ce sera pour nous la révélation de ce festival.

Un petit coup d’Entombed qui ne me convaincra pas et nous nous ruons pour être placés au mieux pour le concert de Down. Première très grosse affiche de la journée et l’affluence devant le Mainstage ne permet pas d’en douter. Les affreux WASP tardent à finir leur propre set sur la scène d’à côté déclenchant les signes d’agacement de nos petits gars de Down (et de leur public qui scande vigoureusement leur nom). Du coup, ils commenceront leur set avant la fin de l’autre, couvrant de leur blues doom lousianais le gros hard FM des précédents. Comme d’habitude, ça envoie sévèrement, Phil Anselmo est impeccable, haranguant une foule conquise (une jeune femme à côté de moi ne cessera de répéter son intention de le violer un jour prochain). Je me fais plein de nouveaux amis, c’est la fête.

A partir de ce concert, fini de rire, on ne touchera plus terre. On est dedans, on en sortira plus. Les pieds vissés à la poussière, vous dis-je.

Anthrax nous servira ensuite un set sympathique (avec l’inévitable reprise d’Antisocial de qui vous savez : « You’re anti, you’re antisocial !!! »). Mais je trouve que leur nouveau chanteur (on en est au combienptième nouveau chanteur d’ailleurs ?) est un peu jeune et par trop poseur pour accompagner des figures aussi mythiques que Scott Ian et Charlie Benante.

Nous en sommes maintenant au gros morceau de la journée, il est 22 heures 50 quand entre sur scène Black Sabbath featuring Ronnie James Dio, Heaven and Hell !!! Beauté du monde, les grands-pères de tout ce petit monde (Dio affiche quand même joyeusement 66 ans) vont nous délivrer un set majestueux d’une beauté noire et élégante. Toujours verts et inventifs, la musique délivrée sera d’une rare beauté. Derrière moi, une fille n’arrêtera pas de répéter avec des trémolos dans la voix « ohlalala mais qu’est-ce que c’est émouvant ». Ce ne sont pas l’un de mes camarades de virée et moi qui nous sommes de concert mis à pleurer comme des madeleines sur le morceau « Heaven and Hell » qui vont pouvoir affirmer le contraire. La dernière fois que je les avais vus, c’était le 15 septembre 1992, l’attente fut longue mais dûment récompensée. Dio a une classe folle, on dirait une vieille star de Broadway quand avec élégance et distinction il nous déclare « you’ve been a wonderful audience, thank you very much ». Puisse t’il vivre encore 100 ans et que nous soit donné le plaisir de le voir encore.

Dans la nuit plus avancée, nous nous ruons sur la scène attenante pour écouter Saint-Vitus. Pas les inventeurs du doom mais presque. Nous aurons enfin vu ce groupe mythique et par là-même la non moins légendaire figure de cette scène : Wino. De quoi parle t’on : pas de musique de drogués, non, non, carrément de musique de junkies. Lenteur, lourdeur, psychédélisme violent, pas tellement fraîcheur de vivre comme spectacle, mais quelque chose d’extrêmement pénétrant et envoûtant. Pour finir ma journée de fan, j’arriverai même à choper une des baguettes du batteur. Vingt ans à tendre le bras et là paf, c’est fait.

Avec tout ça, la journée s’était finalement écoulée, dans le plaisir le plus absolu. Je ne reviens pas sur Mötley Crüe, qui s’ils ont joué « Live Wire » n’en ont pas moins été un peu décevants avec leur show Las Vegas un poil déconnecté de la chaleureuse réalité du Hellfest.

On est rentré sur les rotules, mais on a quand même eu du mal à s’endormir, de la musique plein la tête.

Dimanche, dans ma rue, un barbu chevelu arborant tee-shirt de Cavalera Conspiracy et promenant une poussette, m’a abordé après avoir vu les tee-shirts Hellfest de mes enfants. On a parlé musique pendant vingt minutes, comme si on s’était toujours connus. Musique fabuleuse, milieu délicieux.

Le compte à rebours a commencé, plus que 360 jours et des brouettes avant le prochain Hellfest.

Sébastien

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