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Welcome to the Machine

mardi 27 septembre 2016, par Sébastien Bourdon

Dans les toilettes, il y a du savon mais pas de papier pour s’essuyer les mains quand, dans la salle d’attente, c’est l’exact contraire, il y a des serviettes, mais pas de produit lavant. Bienvenue à l’hôpital. Il faut avoir vécu ce genre de tracas durant de longues nuits passés au chevet d’un enfant dans un service de réanimation : les gens qui travaillent là ont évidemment autre chose à faire que de gérer vos problématiques d’intendance hôtelière, mais en même temps, comment faire ? De toute façon, à la fin, on aura quand même les mains brûlées par la nécessité de les laver en permanence, dans cette lutte sans fin contre la vie microbienne, ici si prégnante et menaçante.

Robert Debré, cet hôpital à la construction déconcertante (aux services rangés par points de couleur), dans lequel on nous déplace – ou pas – selon des exigences qui souvent nous échappent. Un père de famille, qui avait avec sa fille erré en de divers et nombreux services, me faisait remarquer que la structure même de l’immeuble évoquait le jeu des serpents et des échelles, un coup de dé, on monte, un autre, on redescend.

Cette architecture alambiquée se révèle aussi à l’extérieur par de nombreuses terrasses, plus ou moins accessibles, la plupart envahies par une verdure pas franchement contrôlée. Un peu partout dans et autour de ces modestes espaces verts, poussent ça et là des mauvaises herbes que personne ne semble enclin à vouloir arracher, pas plus qu’à débarrasser ces lieux des quelques détritus qui les jonchent, gobelets et canettes, jetés là sans doute par des gens mal élevés ou des médecins débordés.

Ce laisser-aller esthétique et jardinier a quelque chose de laid et d’angoissant quand tout ici devrait en principe être tenu avec la plus grande rigueur. A l’intérieur même du bâtiment, la succession des services procure un sentiment identique : pour un endroit refait à neuf, traverser des lieux décrépits et usés. Cohabitent de formidables efforts de maintien avec un laisser-aller déconcertant.

C’est donc cet espace qu’il faut subir parce qu’on a eu, à deux, l’idée saugrenue de se reproduire. Cette décision pourtant vantée par la littérature depuis des siècles et des siècles vous amènera bien là un jour, le plus souvent pour des choses bénignes, mais vous serez alors confiné et perdrez toute sensation de contrôle sur l’existence (de toute façon, y a t’il plus trompeur que l’impression de maîtrise ?).

Cette construction abrite des vies, et pas seulement celles des enfants souffrants : il y a aussi ceux qui s’agitent, le personnel médical, et ceux qui errent, les parents. Ces derniers ont le sourire rare et souvent douloureux, les traits généralement tirés. N’être que questionnements, comment nous sommes-nous retrouvés là, et comment se fait-il que personne ne trouve d’explications à cette injustice fondamentale. Qu’ai-je fait au bon Dieu ? La réponse est certainement pas grand chose, et en tout cas rien qui mérite d’être mentionné.

L’essentiel est surtout d’en sortir sur les deux pieds, lui, nous, et tant qu’à faire, les autres aussi. Ne jamais oublier que l’appellation de patient évoque la patience, et que c’est ce dont il faudra probablement faire preuve dans l’épreuve.

On se cogne parfois aussi à d’inattendues bulles de calme. Un enfant malade auprès duquel on reste dans une chambre d’hôpital procure une sensation presque absurde de sérénité, s’il se passe quelque chose, ici quelqu’un pourra agir, la nuit ne tombera pas aussi vite, pas une deuxième fois.

Lire et le regarder dormir, entouré de tant de machines aux alarmes enfin silencieuses, ne délivrant rien d’autre que la froide mais essentielle information d’un corps qui revient (de loin).

Puis, plus tard, il faut retourner régulièrement à l’hôpital, en des lieux devenus si familiers. Voguer à nouveau de salles en étages, pour vérifier que tout va bien (vraiment). Regarder son petit garçon, si calme, ne s’énervant de rien, faisant œuvre de patience, il sait que ça va passer.

Sur le chemin du retour, nous avons croisé un couple au bord de la panique, courant vers l’ascenseur, la mère serrant son enfant dans les bras, le père ouvrant et tenant fébrilement les portes. Sentir son sang se glacer dans les veines et être brusquement débordé par une brutale empathie. Et puis, rentrer à la maison.

Sébastien

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