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The Mob Rules

Clutch, La Maroquinerie, le 25 janvier 2013

mardi 29 janvier 2013, par Sébastien Bourdon

J’ai récemment savouré chaque photographie, chaque mot du superbe ouvrage d’Andy Summers, ci-devant guitariste de Police, "I’ll be watching you - inside The Police 1980-1983" (Taschen). Au delà de l’indiscutable beauté de ses clichés noir et blanc, il nous est par ce biais narré un parcours, celui de jeunes et sémillants musiciens anglais devenant, presque sans s’en rendre compte et à une vitesse folle, des vedettes internationales du show business. Le guitariste, en images et en mots, y décrit une vie de rock n’roll, de plus en plus déconnectée, entre succès fou, drogue et sexe, amenant à un vieillissement accéléré et provoquant une indéniable mélancolie, qui menace forcément ceux qui finissent par obtenir ce dont ils ont rêvé si fort.

Clutch ne sera sans doute jamais aussi célèbre que Police, même si le groupe, en plus de vingt ans de carrière, a acquis suffisamment de fans pour arpenter le monde et remplir les salles, plus ou moins importantes. La route pour seul horizon, la musique comme seule respiration. On peut se tromper, mais j’imagine mal par ailleurs ce groupe de garçons modestes et discrets se vautrant dans le stupre. En effet, on parle ici de passion, de sacerdoce pleinement assumé, leur musique n’ayant pas vocation à tourner en boucle sur les radios. Leur batteur, le divin Jean-Paul Gaster, décrit la pratique de son instrument comme une bénédiction, dont on ne voit jamais le bout, sauf quelques êtres humains supérieurs, tels Max Roach ou Buddy Rich.

Voilà fort longtemps que ce groupe revient à intervalles réguliers sur ma platine, entrant même dans le cercle (qui sait, peut-être envié ?) de mes « groupes préférés ». Clutch est un groupe immédiatement identifiable, avec un son bien à lui, bien que ne produisant jamais deux albums similaires. Leur musique m’a toujours semblé extrêmement profonde et sincère, mâtinée de nombreuses influences, du hard-rock, au jazz et au blues (on les a parfois rangés dans le « stoner », mais il me semble que leur production est trop subtile et alambiquée pour être réduite à un épithète forcément réducteur). Je me souviens comme si c’était hier de l’album « Elephant Riders » (1998), une musique surgissant à mes oreilles avec la force de l’évidence, tout en étant interloqué par ce souffle et cette complexité rythmique.

En vieillissant, l’on ne peut que constater que leurs albums sont de plus en plus terriens, remontant aux sources de la musique américaine. Mû par une curiosité et une culture indiscutables, le groupe semble par ailleurs bien loin d’avoir épuisé la créativité et la compétence de ses membres. Ainsi, et au risque d’insister sur ce musicien phénoménal, Jean-Paul Gaster est sans doute le batteur le plus bluffant dans la sobriété depuis John Bonham (Led Zeppelin). Un simple coup de grosse caisse et tout le monde danse (ma femme peut témoigner).

Tout à la joie de les revoir, nous voilà à la Maroquinerie. La dernière fois que j’ai pu les écouter dans cette salle, nous étions genre douze, ce qui m’avait beaucoup attristé (le 26 mai 2005). Depuis, il faut croire que notre pays, qui n’y connaît rien au rock n’ roll (sauf à Clisson, un week-end par an), finalement progresse, puisque la salle était comble, du sol au plancher. Plus festif donc, mais nettement moins confortable.

On a renoncé à la première partie, d’ailleurs c’était la même que pour le concert de Red Fang (Hark), car, par ce froid polaire, il fallait bien se sustenter, et ce d’autant que nous avions charge d’âme en la présence de notre fils cadet (l’aîné ayant été quant à lui retenu par une vilaine grippe, ce dont il était fort marri). Tuons tout de suite le suspense, du haut de ses sept ans, il a « adoré le concert, mais détesté la salle ». Il faut le comprendre, la Maroquinerie, pleine comme un œuf, quand on mesure un mètre douze, ce n’est pas d’un grand confort. Phénomène d’autant plus vrai qu’en descendant dans le sous-sol où se tiennent les festivités musicales, on est passé en un claquement de doigt de l’enfer glacé de la rue à l’étuve, à peine si l’on pouvait bouger ou respirer.

Que dire d’un tel spectacle, si ce n’est que le terme rock n’ roll n’est ici pas usurpé. D’emblée, avec un tonique « Pure Rock Fury », le public entre dans la danse pour ne plus s’arrêter. Le groupe pioche au gré de sa carrière des titres qui, s’ils n’ont jamais été des tubes, sont des hymnes à la joie pour leurs fans (« The Mob Goes Wild », « Profits Of Doom », « Burning Beard »…). Il est réjouissant de voir à quel point leurs emprunts au blues – genre pourtant terriblement galvaudé - ne sonnent jamais vieillots ou trop « blanc » (surtout pas vulgaire ou putassier en somme). Ce groupe swingue comme personne sur la scène métallique, ce qui en fait toute la saveur (« The Regulator », « Gravel Road », « Electric Worry »…).

Ce qui leur permet d’échapper également au lot commun se trouve dans leur textes, indiscutablement riches, souvent décalés, avec un humour étrange. Clutch ne se raconte pas une vie de planteurs de cotons, ni ne décrit les affres de la vie de jeune blanc dans les « suburbs » américaines, mais tenterait plutôt de flirter avec une forme de poésie. Le chanteur, Neil Fallon, garçon barbu et timide, n’est d’ailleurs pas sans évoquer une sorte de prédicateur illuminé lorsqu’il se saisit du micro, comme haranguant une foule joyeusement soumise.

Au hasard, extrait de « Profits of Doom » (in « Blast Tyrant » - 2004) :

“Genesis and Exodus, Leviticus and Numbers,
Gideon is knocking in your hotel while you slumber.

Swallower of Planets, the profits of doom.

Never trust the white man driving the black van
He’s just saving all his voodoo for you.
Just for you.”

Cerise sur le gâteau du fan, nous avons eu droit à quelques extraits du prochain album à paraître « Earth Rocker », évidemment, c’était extrêmement prometteur (notamment le titre éponyme et « Crucial Velocity »). L’inspiration n’est pas éteinte, mais qui en doutait ? Nous avons retrouvé un Paris glacé avec un tee-shirt pour l’enfant absent et un 45 tours picture disc de leur dernier single, que voulez-vous, j’aime les beaux objets.

Si Clutch a promis aux parisiens de revenir plus souvent sur nos terres, le groupe sera d’ores et déjà présent au Hellfest, il faudra en être, d’ailleurs j’en serai.

“Anthrax, ham radio, and liquor.
Coming at you live !”

“50 000 unstoppable watts” (2009)

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