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That’s all right Mama

« Bloody Mama » de Roger Corman (1970)

mercredi 21 mars 2012, par Sébastien Bourdon

Si on résume, Roger Corman, qui est toujours de ce monde, mais somme toute assez vieux (86 ans) et très fatigué, est un cinéaste américain, réalisateur de plus d’une cinquantaine de films et producteur d’au moins… quatre cents films (au bas mot).

Réalisateur de série B par excellence, il n’en a pas moins contribué à l’apparition de moult talents de réalisateurs chevronnés (Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Joe Dante, le critique Peter Bogdanovich...). On lui doit également l’éclosion de comédiens comme Nicholson ou De Niro (ce dernier joue d’ailleurs dans « Bloody Mama »). Il a également œuvré pour la diffusion aux Etats-Unis des films de Truffaut, Fellini, Bergman... Bref, Roger Corman, de manière compulsive et systématique, incarne une vie en forme de dévotion totale au cinéma, dans tous ses genres, sous toutes ses formes. Evidemment, de cet amas de pellicule, on peut extraire quelques pépites, mais également beaucoup de films de série B, voire de série Z (jamais dénuée de charme, car c’est l’intention qui compte).

Comme le disait Corman, le cinéma était une forme d’art corrompue dès l’origine puisque pour faire un film, il faut être évidemment artiste mais aussi technicien, ingénieur et financier. Il cultivait donc l’artisanat absolu, fabriquant des films bouts de ficelle, parfois écrits en même temps qu’ils étaient tournés (quand ils étaient écrits), en décor de carton pâtes, en utilisant tout ce qui pouvait tomber sous la main pour améliorer le produit en cours de réalisation. Il était une école du genre à lui tout seul et les formidables cinéastes des années 70 lui doivent tout ou presque. Le problème est que ses films sont difficilement visibles et c’était donc une véritable aubaine que de pouvoir assister à une projection de l’un de ses classiques sur grand écran.

« Bloody Mama » fait plutôt partie de ses œuvres les plus travaillées et abouties, à tous égards. Le film narre les aventures d’un personnage parfaitement épouvantable, une mère de famille sans morale aucune, qui entraîne ses quatre fils sur les voies troublées de la violence et du crime, à la seule fin de s’extraire des tréfonds sociaux de la société. Dans ce rôle, l’extraordinaire Shelley Winters retrouve donc ici un type de rôle devenu sa spécialité, ayant déjà interprété des mères on ne peut plus toxique pour leurs enfants, que ce soit dans « La Nuit du Chasseur » de Laughton ou « Lolita » de Kubrick. Elle joue franchement, sans s’embarrasser de son image, faisant de ce qui devrait relever de la tare pour une actrice (l’embonpoint, l’âge) de solides appuis pour camper un personnage aussi drôle que terrifiant.

Le film, inspiré de faits réels (Ma Barker et ses garçons ont réellement existé), est ponctué d’images d’archives (toujours ça d’économisé pour Corman en terme de coûts et de temps de tournage), que le personnage principal commente au premier degré avec drôlerie et cruauté. Le film rappelle ainsi la brutalité de l’époque – nous sommes en pleine crise de 1929. C’est ainsi que Ma Barker s’enthousiasme de ce que les policiers, trop occupés à taper sur les chômeurs, ne se préoccupent pas de leur errance sanglante. Le climat général d’effondrement économique mène à une forme brutale de délitement moral (the more the things change…) et c’est fasciné que l’on découvre ainsi qu’avait été organisé dans les rues de Washington un défilé pour que ne soit pas interdite la pratique du lynchage.

De la même manière, la pratique systématique de la religion et les références au Christ sont fréquentes chez Ma Barker, et hilarantes. Cela s’illustre notamment par ce goût du chant collectif religieux régulièrement entonné en chœur avec ses fils. Durant ces intermèdes musicaux orchestrés par la terrifiante génitrice (le père est abandonné dès le début du film, trop mou), la famille de brutes se resserre dans l’adversité qu’elle a elle-même généré.

Une courte lecture laisserait à penser que Corman accumule les scènes chocs – quoique souvent elliptiques – pour attirer le chaland et remplir les drive-in. Certes, le film est indéniablement violent : il commence par le viol de Ma Barker, encore enfant, par son père aidé de ses frères, pour se terminer dans un inévitable bain de sang. Il ne s’embarrasse également point trop de pudeur, du moins pour l’époque : prostitution, nymphomanie, inceste, homosexualité, il m’a semblé qu’étaient réunies toutes les possibilités (un peu d’alcoolisme et de toxicomanie également)… Mais, sous une apparence de « film d’exploitation » (c’est comme ça que ça s’appelle), se dissimule un contenu politique autrement plus coriace, ainsi qu’une vision terrifiée du monde.

De manière amusante, le film est dédié à toutes les mères américaines…

Sébastien

Messages

  • Les hasards de mes projections vidéos à domicile m’amènent à compléter cette chronique. Je viens en effet de découvrir que dans le film « Elvis », réalisé pour la télévision par l’immense John Carpenter en 1979, Shelley Winters y interprète justement une fois encore une mère, celle d’Elvis.

    Son personnage n’est ici pas moins étouffant que les génitrices précitées, mais quand même infiniment moins nocif à son fils. Elle joue donc une mère aimante, qui ne cessera de croire en son rejeton comme le meilleur que l’on puisse imaginer et qui ne manquera jamais de le lui répéter. Avant de disparaître prématurément, elle s’était toutefois inquiétée des conséquences de son succès hors norme. Elle ne s’y était point trompée, cette vie délirante de vedette a finalement tué un Elvis encore jeune, devenu obèse et malade.

    Les plus vifs d’entre vous auront constaté que j’avais appelé ma chronique du film « Bloody Mama », « That’s allright Mama », qui est justement une chanson dont l’interprétation la plus célèbre fut celle… d’Elvis. Il est des évidences qui comme ça qui vous frappent : tout est dans tout et inversement.

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