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Spécialiste de l’accablement

« Dans la cour » de Pierre Salvadori (2014)

vendredi 2 mai 2014, par Sébastien Bourdon

Deux possibilités de films à la même heure dans mon cinéma de quartier, notre choix s’est arrêté sur celui qui se donnait dans la salle la plus confortable. La cinéphilie tient parfois à peu de choses…

Le cinéma français contemporain crève sous une profusion de comédies lourdingues et vulgaires avec de bien tristes vedettes (de Dany Boon à Christian Clavier, il y en a pour tous les dégoûts). Si je ne les vois évidemment pas dans les salles obscures, la contemplation de cette invasion par affichage sur les murs de la ville désole tous les jours le cycliste que je suis.

A t’on autant besoin de rire ? Ce besoin effréné de rigolade ferait presque peur, cela cache forcément quelque chose d’indécent. Plus personne ne vote mais tout le monde veut se marrer.

Le film dont il est ici question n’échappe pas, mais pour sa seule promotion, au qualificatif de « comédie » (ajoutez, c’est selon, « douce-amère », « mélancolique », « tendre »). Pourtant ce film n’est pas plus drôle que l’existence, qui, comme chacun sait peut malgré tout l’être (rions un peu en attendant la mort) et c’est dans cette justesse de ton, teintée d’un peu d’étrangeté, qu’il trouve sa grandeur et sa force.

Après « Tonnerre » de Guillaume Brac, déjà chroniqué sur ces lignes, nous voilà de nouveau face à un rocker dépressif (Gustave Kervern), figure contemporaine d’une époque où on n’achète plus de disques et où on écoute des « sons » (sur l’application Soundcloud on « écoute des sons », le chant des baleines peut-être ?).

Incapable de trouver le sommeil, le garçon abandonne tout et se rend au Pôle Emploi pour trouver un travail idiot qui lui permettra d’échapper, ne serait-ce qu’un peu, à ses névroses.

C’est ainsi qu’il se retrouve gardien d’immeuble parisien, sa loge donnant sur une cour qui renvoie sans doute à celle où Antoine Doisnel colorait des fleurs pour les rendre plus attrayantes (« Domicile Conjugal  » de François Truffaut - 1970). Il y croise une population de gens plutôt gentils, mais pratiquement tous névrosés et plus ou moins débordés par leurs lubies (de l’accumulation de vélos à l’obsession des fissures murales).

Cette congrégation de doux-dingues qui s’ignorent abrite notamment la retraitée Mathilde, épouse du président du Conseil syndical, interprétée par Catherine Deneuve. Si vous l’ignoriez, si vous aviez un doute, elle est une immense actrice. Enfin réellement âgée, marquée par le temps qui passe (et des travaux pas toujours réussis), elle ne perd pas un instant la grâce qui a été la sienne presque tout au long de sa carrière. A l’instar du personnage principal masculin, l’envie de la protéger de sa folie douce montante nous prend aussi, spectateurs charmés et légèrement épouvantés que nous sommes.

Le couple Kervern/Deneuve, de drolatique devient profondément émouvant, chacun se rendant compte que s’il veut aider l’autre, il n’est pas forcément le plus à même de bien le faire. La vie peut être mathématique, moins plus moins s’additionnent mais restent négatifs.

Le film donne probablement une idée assez juste de ce qu’est la dépression, ce grand vide en chacun de nous, telles les poches argileuses sous l’immeuble des protagonistes, quelque chose qui à tout moment peut nous emporter dans des profondeurs que nul ne souhaiterait jamais connaître, mais dont on perçoit l’existence, pour peu que l’on ait deux sous de jugeote. Une sorte d’irrésistible appel de Chtulhu (Lovecraft).

Il vous sera donc permis de rire durant la projection, mais de cet éclat conscient et beau des fragilités de l’existence et du charme des gens qui titubent un peu sur les chemins tortueux de la vie.

Sébastien

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