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« Sibyl » de Justine Triet

mercredi 12 juin 2019, par Sébastien Bourdon

Femmes au Bord de la Crise de Nerfs

Après une comédie de mœurs fine et particulièrement réussie - « Victoria » (2015) - la réalisatrice Justine Triet a semble t’il décidé de ne surtout pas manquer d’ambition avec ce nouvel opus.

S’écartant d’une veine qui lui a plutôt souri la fois précédente, elle réalise là une œuvre pour le moins dense et où la volonté d’aborder des thèmes nombreux et multiples pouvait faire craindre l’accident industriel (et ce d’autant que le film a dû coûter bien plus cher).

Sibyl, une psychanalyste interprétée par la décidément formidable Virginie Efira, décide d’arrêter d’exercer son métier pour renouer le fil de sa passion première, l’écriture. Les nombreux flashbacks - qui reviennent en rêveries et cauchemars de l’héroïne - nous permettent de comprendre que parmi les choses qu’elle a également abandonnées, il y a l’alcool, devenu pour elle poison après un désastre amoureux, ce dernier étant encore vivace dans son esprit (Niels Schneider).

Dans ce moment charnière de son existence, Sibyl est appelée au secours par une actrice borderline (Adèle Exarchopoulos, fatigante), en pleine dépression nerveuse au moment de commencer un tournage à Stromboli (coucou Ingrid Bergman).

Trouvant dans cette histoire possible matière à fiction, et abusant ainsi subtilement de son statut de psy, elle se rend sur place, décidée à utiliser ce que la vie lui offre comme matière pour écrire. Évidemment, cette idée saugrenue donnera des résultats tragicomiques sur le tournage, la réalisatrice ne goûtant pas forcément tous les caprices de son actrice et de son coach de fortune, ces derniers menaçant en effet son précieux travail.

Cette mise en abîme de tournage est particulièrement réussie. D’abord parce que Justine Triet a probablement mis beaucoup d’elle-même dans le personnage de la réalisatrice (la non moins formidable Sandra Hüller). Et ensuite parce que Stromboli est un matériau chargé de cinéphilie (Roberto Rossellini donc).

On n’avait en tout cas pas vu tournage filmé aussi évocateur et transpirant l’amour du cinéma depuis « La Nuit Américaine » de Truffaut (1973).

Mais ceci n’est qu’un moment dans un film qui en compte de nombreux, aussi bien dans son récit plein de péripéties que dans le nombre impressionnant des problématiques abordées dans l’oeuvre telles que, en vrac : désir et sexualité féminine, maternité, rapports familiaux (mère fille, mais aussi sœurs), psychanalyse, travail de deuil, affres de la création etc.

La matière à filmer abonde donc au risque du trop plein ou, a contrario, du survol trop hâtif. Toutefois, la réalisatrice réussit la prouesse de n’être jamais à la ramasse même quand elle se révèle un peu courte dans son propos. La magnifique scène qui clôt le film en est une parfaite illustration.

On sent donc clairement un film qui a dû encore beaucoup se chercher au montage et qui sans s’être forcément complètement trouvé n’en fait pas moins un beau corpus, qui se tient, et qui surtout se regarde.

Cette prouesse repose sans doute aussi beaucoup sur son incroyable actrice principale, Virginie Efira. On ne l’avait pas forcément vue venir, mais cette femme semble capable de tout jouer, avec une justesse et une précision étonnantes. Elle le fait d’autant mieux qu’on ne ressent jamais chez elle une volonté de produire un effet factice ou des afféteries de tragédienne, chaque geste est marqué par un naturel confondant, de la drôlerie au tragique en passant par le désir.

Sébastien Bourdon

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