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Dans l’Arène de la Culture Politique Etasuniènne

Les Jeux Présidentiels- Deuxième Partie

samedi 30 octobre 2004, par Christopher Montel

Pour une fois que Soundsmag peut prétendre avoir un envoyé spécial, on ne s’est pas privé de lui demander un petit article. Chris (a.k.a. Zdenek) était aux USA au moment des élections... Voici la deuxième partie de son périple là-bas, en compagnie des bushistes et des kerryistes.

New York City, comme la plupart des mégalopoles étasuniennes, n’est franchement pas un bastion Bushiste, même si la cité se retrouve aujourd’hui avec un nouveau maire Républicain, Michael Bloomberg, qui se démène tant bien que mal pour sortir de l’ombre mondialement célèbre de Rudy Giuliani. Comme à Chicago ou Boston, il n’y a pratiquement que des plaquettes Kerry Edwards 2004, ce qui change des paysages du Bible Belt et du Midwest en général, truffés de posters Bush Cheney 2004.

A défaut de conviction, tous les coups sont permis

Ces élections seraient dit-on les plus partisanes de l’histoire moderne et post-moderne des Etats-Unis. Plus personne ne semble pouvoir être convaincu, et les statistiques le confirment, montrant que seulement 2 à 6% du corps électoral se prononcent toujours comme indécis. Même si le parti Républicain reste avantagé au niveau national, un nombre significatif de personnes interrogées ont carrément honte de déclarer ouvertement qu’elles iront voter Bush et se prononcent donc publiquement pour Kerry.

Un des nombreux problèmes des sondages par contre serait la sous- représentation des jeunes citoyens (18-24 ans) parmi les interrogés. Or cette catégorie est la première visée par les spots publicitaires (l’un deux, enchaînant les afro-american celebrities, était à l’attention particulière des jeunes noirs étasuniens) [1] et les militants des deux partis, avec une mobilisation plus forte du côté Démocrate. J’ai pu moi-même le constater à maintes reprises en me baladant lorsque ma tête de jeune attirait les propositions d’inscription sur les listes électorales accompagnées de bulletin de vote. Je vous jure que pour le coup ça donnait envie d’être citoyen américain.

Ainsi donc, il semble que d’un côté on votera Kerry juste parce qu’il est tout sauf Bush, et de l’autre on votera Bush par pur conformisme ou simplement par peur de changer de cheval en des temps si troublés, mais surtout en se gardant bien de ne pas le dire à haute voix pour ne pas passer soi-même pour un crétin. Dans tout les cas c’est un sérieux coup bas à l’intégrité du système démocratique étasunien.

Le « Slime-Ball politics », tel qu’il a été dénommé par Max Cleland, le sénateur démocrate qui a dû abandonner ses deux jambes et son bras gauche au Vietnam, est ainsi particulièrement virulent lors de ces Jeux Présidentiels d’un nouveau siècle principalement parce que l’on votera non par conviction mais par la haine de l’autre.

Ce « Slime-Ball politics » se manifeste avant tout dans la lutte engagée sur le front médiatique : d’un côté Fahrenheit 911 et la myriade de médias plus ou moins indépendants comme MoveOn.org qui ont mis les bouchées doubles pour synthétiser la déviation que Georges W Bush représente pour les Etats Unis, et de l’autre les groupes financés par les millionnaires Texans, notamment les fameux Swift Boat Veterans for Truth (« Vétérans des Patrouilleurs pour la Vérité), qui ont su battre un nouveau record dans le monde politique pour ce qui est de la diffamation mensongère et gratuite, à tel point que même John McCain, sénateur Républicain, les a qualifiés publiquement de malhonnêtes (« dishonest and dishonorable »).

McCain, lui aussi un vétéran du Vietnam (il semble d’ailleurs qu’ils l’ont tous été, à part bien sûr W), a dû en effet se retenir pour ne pas en dire plus sur ces vétérans soi-disant désintéressés par la politique qui, ayant combattu aux côtés de John Kerry sur un des patrouilleurs du Mékong Vietnamien, le dénonce comme un sombre Prince Machiavel issu de Harvard, qui aurait prétendument rédigé de faux rapports militaires pour obtenir les glorieuses Bronze Star, Silver Star et trois Purple Hearts. Certains suggèrent même, sans bien sûr aller assez loin dans leurs suppositions pour ne pas être traînés devant les tribunaux, que Kerry se serait lui-même infligé ses blessures pour s’assurer la gloire 35 ans plus tard dans cette course présidentielle.

Pourtant, pas mal de vétérans du Vietnam ayant combattu avec ou sous les ordres de Kerry étaient présents lors de la convention du Parti Démocrate à Boston, comme le Béret Vert Jim Rossman, qui a affirmé publiquement, la larme à l’œil, que John Kerry l’a sauvé en plongeant à sa rescousse alors que Rossman était tombé dans le fleuve et se faisait tirer dessus par les snipers du Viet Cong.

Qu’un jeune fauve attiré par l’odeur du pouvoir prépare dans les années 60 une carrière politique sur son héroïsme combatif (et par la même occasion y risque tout de même sa vie), quoi de plus quelconque dans un pays où le monde politique moderne à été en grande partie façonné au début du siècle dernier par Théodore Roosevelt et son bellicisme, enragé certes, mais pour le moins idéaliste.

Ce que John Kerry n’a malheureusement pas pu prévoir, c’est bel et bien cette descente aux enfers entamée par les nouveaux félins des couloirs obscurs de la com’ politique. A la recherche de l’idéal le plus prometteur s’est substitué la stratégie du message le plus destructeur, et cette « guerre publicitaire », selon les termes du journaliste Chris Matthews se révèle donc être un des symptômes les plus remarquables de cet effondrement des idéaux politiques. Et pour couronner le tout, c’est un planqué du Texas qui seul profite du carnage.

Car malgré la confirmation généralisée de ce que dénonçait Michael Moore dans Fahrenheit 911 au sujet du patriotisme du jeune W Bush lorsqu’il aurait pu le mettre à l’épreuve au Vietnam, ce dernier semble quand même être plus en harmonie avec son électorat potentiel que Kerry avec le sien, puisque, alors que le candidat Républicain s’est vu devancer son adversaire de plus de 10 points juste après la convention républicaine début septembre, aucune montée n’a été signalée dans les sondages suite au discours d’investiture du candidat démocrate le 29 juillet à Boston. Encore une fois, le front anti-Bush n’est pas un allié aussi solide que ses portes paroles les plus virulents comme l’acteur Ben Affleck ou le rappeur Russell Simmons voudraient le croire et le faire croire, entre autres à Kerry.

Après avoir retrouvé le chemin menant au Ground Zero, j’avais décidé de donner à ma promenade New Yorkaise un nouveau détour, par Greenwich Village, le plus célèbre des quartiers urbains aux Etats-Unis abritant les Bobos du monde entier. A tel point qu’ aucun volontaire démocrate n’était ici pour inciter les non-inscrits à prendre leurs cartes électorales, alors qu’on pouvait les trouver à chaque coin de rue dans la plupart des grandes villes américaines. En voulant retrouver la Septième avenue j’ai remarqué qu’ici même les magasins affichaient ouvertement leur choix électoral, en collant les fameuses plaquettes « Kerry Edwards 2004 » sur les vitrines.

Ces plaquettes pourtant, lorsque collées sur l’arrière des voitures, les fenêtres ou dans la rue, sont utilisées pour exprimer par un langage politiquement correct une haine anti-Bush. Le véritable slogan qui fédère les énergies, pouvait, lui, être trouvé en haut d’un immeuble de Greenwich Village : « No Dick No Bush ».

Mieux vaut un foie jaune qu’un traître...

Je me souvenais d’avoir vu il y a des années "Le Plus Grand Ripoux des Etats Unis", un documentaire sur le chef du FBI J. Edgar Hoover qui commençait comme une bombe, en suggérant qu’aux USA, la morale de la frange conservatrice ultra religieuse préfèrerait le voleur du communiste, puisque le voleur veut s’accaparer des dollars alors que le communiste entend les redistribuer...Ca allait un peu loin, puisque cette même frange aurait de toute façon été plus que satisfaite de voir les deux sortes de menaces pendre côte à côte sous la même branche.

Par contre, au vu de l’impact réel des spots anti-Kerry le démontrant comme un traître qui aurait pactisé avec le Viet Cong alors que ses camarades vivaient l’enfer de la guerre, il semble qu’aux Etats-Unis un couard serait tout de même plus souhaitable qu’un agent secret du pacifisme, qui aurait trahi ses camarades en les dénonçant comme de vulgaires criminels de guerre.

Lorsque Kerry a exigé publiquement de Bush le retrait des spots diffamatoires, avant d’avoir finalement senti les bénéfices médiatiques d’un appel à en finir avec une joute verbale sur les mérites et le patriotisme de chacun durant la guerre au Vietnam, Bush a attendu des semaines de diffusion des spots anti-Kerry avant de répondre que tous les spots diffusés à la télé et bien sûr sur Internet par les groupes 527 (inscrits comme tels dans la section 527 du fisc étasunien, le IRS) devaient être interdits, surtout ceux comme Moveon.org qui n’ont pas arrêté de le canarder depuis des années. Entre temps, des groupes tout aussi indépendants que les Swift Boat Veterans For Truth, notamment les Texans For Truth, ont riposté en diffusant des spots sur l’absentéisme de W alors qu’il devait s’entraîner à des séances de vol, lorsque les connections de son papa lui ont assuré de ne s’exposer à rien d’autre que de se pincer les doigts en sortant d’un avion.

On peut dire que les deux n’ont certainement pas bien prévu leur coup : de son côté Kerry aurait peut-être été un peu moins bruyant sur son héroïsme au Vietnam et son idéalisme back home s’il avait su ce que ça allait lui rapporter, lorsqu’aujourd’hui se faire appeler de liberal équivaut presque à se faire dénoncer comme étant un communiste sous McCarthy. Georges W Bush aurait lui peut-être dû suivre ses cours de vol au début des années 70 pour faire atterrir avec plus de brio son chasseur sur le Porte-avion du fameux Mission Accomplished en Mai 2003.

Un an et demi après que Georges W Bush ait déclaré que la mission en Irak était terminée, 52% des américains interrogés dans un récent sondage considéraient qu’avoir renversé le régime Baasiste de Saddam Hussein ne valait pas la situation cauchemardesque d’aujourd’hui en Irak, alors que seulement 40 % pensaient le contraire, et pourtant, Georges W Bush devance son adversaire de trois points en récoltant 48% des intentions de vote en septembre, et en devançant, toujours de peu, son adversaire. Même si la campagne de Kerry a déjà été taxée comme étant la moins performante de ces dernières décennies, et que ce dernier n’a pas su, ou ne pouvait tout simplement pas rallier le front anti-guerre et anti-Bush derrière son propre leadership, il semble que le facteur déterminant expliquant le succès absurde de W se trouve ailleurs.

La base dont George W Bush parlait à la fin de Farenheit 911, celle des élites économiques étasuniennes, se révèle un atout financier et logistique vital pour la campagne, qui rappelons-le aura battu de nouveaux records de dépenses. Pourtant, les souffleurs de Georges W Bush comprennent ce qu’une grande partie de l’électorat américain apprécient en lui, c’est finalement qu’il est prévisible, en toute circonstances. George W Bush se présente comme le Président de la certitude, rejetant le doute comme travail intellectuel et diplomatique. Il se fait applaudir lorsqu’il reconnaît en gloussant qu’il a du mal avec la langue anglaise lors de son discours d’investiture à New York City. Cette certitude de sophiste abruti apparaît de plus en plus familière, rassurante, divertissante avec ses cafouillages linguistiques et politiques. Elle devient la seule chose que le citoyen-téléspectateur de base peut facilement reconnaître aujourd’hui sur sa chaîne de télévision, entre deux têtes décapitées et un vol en Irak d’explosifs assez puissants pour fabriquer des armes nucléaires.

Ce n’est pas tant les croyances de Georges W Bush que sa façon de raser de façon aussi désinvolte les limites dressées par plus de deux cent ans d’utilisation plus ou moins modérée de la Foi chrétienne par les politiciens étasuniens, qui se devaient au pire de balancer deux ou trois « God Save America » lors de discours à la nation. Kerry, en voulant reprendre cette tradition tout en condamnant la position de son adversaire, a su toucher juste en déclarant qu’il ne portait pas sa religion sur sa manche. De son côté Georges W Bush présente la chrétienté comme l’essence fondamentale de la nation qu’il dirige puisqu’il affirme avoir été conduit par Dieu à la Maison Blanche pour accomplir le Bien. Pris au mot, ceci voudrait dire que soit W ment soit Jerry Falwell, l’imprécateur du Moral Majority, disait vrai en insistant que Dieu avait puni les Etats-Unis.

Mon parcours jusqu’au Ground Zero s’était encore compliqué lorsque j’avais pris le chemin vers l’est, en me retrouvant tout près du siège des Nations Unies, ou les mensonges des années 2002 et 2003 avaient été proférés le plus publiquement possible par l’administration au pouvoir. Georges W Bush demandait il y a peu qu’il était du devoir de la communauté internationale d’aider les Etats-Unis à combattre le terrorisme en Irak et y installer une démocratie.

Comment cette demande d’aide sera-t-elle renouvelée après ce mardi 2 novembre 2004, et par lequel des deux ? Elle est de plus en plus inévitable, et si John Kerry arrive à décrocher la victoire, il sera difficile pour lui de faire un discours qui, aussi élaboré qu’il soit, parviendra à convaincre les anciens alliés des Etats-Unis à partager ensemble la suite des évènements en Irak.

Destination Finale

L’accès au site du World Trade Center n’est pas vraiment indiqué, et je ne me suis rendu compte que j’étais arrivé à destination que lorsque la grille de sécurité m’arrêta devant le chantier. Avant même d’avoir été aménagé comme un mémorial verdoyant aux attaques terroristes du 11 septembre, le Ground Zero est bien sûr l’une des principales attractions de New York City, un must, qui tout de même a conservé dans ses ruines suffisamment d’horreur pour ne pas être le témoin silencieux de touristes posant devant l’appareil photo. Les débris ont été évacués jusqu’aux fondations des deux tours, laissant un pilier en béton portant deux poutres d’acier en forme de croix. La façade des bureaux à l’ouest avait été recouverte en partie par un gigantesque drapeau, avec un rappel, Never forgotten.

La tragédie que représente encore et toujours ce lieu fédère, selon les termes de John Kerry, tous les américains, en ayant appelé ce jour là le meilleur d’eux-mêmes. Une manipulation de plus bien sûr, mais feutrée, et finalement pas si dangereuse, des évènements du 11 septembre. Au loin, sur les fenêtres d’un autre immeuble faisant face au site, des pancartes aux fenêtres disaient No War.


[1Sounds présente ce néologisme pour tenter de détrôner le terme politiquement correct « afro-américain », basé sur un double détournement de sens, puisque tous les américains ne sont pas des étasuniens et tous les africains ne sont pas noir de peau.

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