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« Aquarius » de Kleber Mendoça Filha

mardi 25 octobre 2016, par Sébastien Bourdon

La Vieille Dame Indigne

Le générique du film, fait de photographies en noir et blanc de bord de mer (Recife, où se déroulera l’action), défilant sur fond de musique brésilienne subtile (« Hoje » de Taiguara), vous saisit immédiatement. Et puis, une bande de jeunes en 1980 découvre en voiture dans la nuit sur la plage « Another One Bites The Dust » (Queen), nous donnant l’illusion de l’entendre nous aussi pour la première fois.

On entre donc dans le film par la musique, qui va nous projeter dans la vie de ces gens, suivant leurs regards, leurs rêves et leurs inquiétudes.

Trente-cinq années plus tard, la mélomane Clara (Sonia Braga, qui consume littéralement l’écran) a vieilli, mais vit toujours dans l’immeuble qui donne son nom au film. Cette femme à la chevelure de jais, à la beauté âgée presque surnaturelle d’intensité, va devoir faire face à un accident de l’histoire qu’elle n’avait pas forcément prévu (les prévoit-on de toute façon ?) : sa probable prochaine expropriation d’Aquarius dans le cadre d’une opération immobilière d’envergure (« Le Nouvel Aquarius » sic).

Cet appartement impeccablement tenu, face à l’océan, cela apparaît comme une évidence dès que la caméra le visite, est comme une prolongation d’elle-même, quelque chose qui a déjà longtemps vécu mais qui n’admet pas que la vie s’achève et s’étiole. Elle n’entend pas renoncer et, butée comme une enfant qu’elle dit être encore, entrera en résistance.

Cette menace capitalistique qui va planer tout le long du film de manière sourde et insidieuse, presque hitchcockienne par moment, trouve donc un obstacle tenace en la personne de Clara, qui n’entend pas s’en laisser compter par cette ténébreuse société Bonfim.

Le personnage principal est si fondamental à l’oeuvre que la caméra dédouble en quelque sorte son regard aiguisé, rien ne lui échappe, même s’il va devenir de plus en plus difficile de ne pas sombrer dans la paranoïa.

Si l’héroïne est affutée, le réalisateur ne l’est donc pas moins, les plans sont magnifiques, mais on est surtout frappé par l’indéniable finesse d’observation, qu’elle soit psychologique ou sociologique. Clara incarne une génération qui, vieillissante et meurtrie, a envers et contre tout conservé ses rêves et son éducation face à une jeunesse formée dans des écoles de « business » et qui n’est qu’avidité sous des sourires poupins.

Si elle se fait à l’idée de l’âge venu - sans doute d’autant plus aisément que son corps a été attaqué par la maladie alors qu’elle était encore jeune - elle ne renonce donc pas à ses idéaux et se refuse à l’abandon nostalgique.

Comme en écho à la fougue de la jeunesse passée, Clara reste aussi un être charnel et désirant. La sexualité est très présente dans le film, de manière souvent soudaine et crue. Il y a quelque chose de très beau dans cette manière de filmer l’évidence du désir (ou de son souvenir), pulsion vitale à laquelle il ne faudrait jamais renoncer.

Par petites touches, autour de ce portrait de femme libre, se dessine également une subtile description du Brésil contemporain, de ses classes sociales et ethniques si bien délimitées, de sa corruption endémique. La famille de l’héroïne, sa bonne, son frère, ses amies, tous ces gens si délicatement représentés nous disent beaucoup d’une société et de son fonctionnement. Il existe bien des raisons de se révolter, mais à l’instar du personnage principal, il faudra contenir sa colère et l’utiliser à bon escient, conservant, envers et contre tout, une relative foi en l’avenir.

Comme le dit Carla à son neveu du chant de Maria Bethania, le film est intense (et beau). Il faut ici rendre justice à cette langue brésilienne merveilleuse qui est déjà intrinsèquement de la musique, cette chose si essentielle au bonheur terrestre et dans laquelle l’héroïne puise une énergie vitale, quand dans l’adversité les forces viennent à lui manquer (de Queen à Gilberto Gil, en passant par Vila Lobos).

Des disques pour faire face au temps qui passe et des chansons qui, réveillant le passé, permettent de résister au présent, joli programme mélancolique.

Sébastien Bourdon

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