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La Vie Devant Soi

Higelin "Higelin 75"

lundi 17 octobre 2016, par Sébastien Bourdon

Higelin "Higelin 75"

On ne va pas se mentir, on n’a peu d’appétence pour la chanson française. Quelques classiques sont irrésistibles ("Que reste t’il de nos amours" Charles Trenet 1942), mais dans l’ensemble, de Piaf à Benabar, on souffre beaucoup, et depuis trop longtemps, de cet assaut de poésie des faubourgs sur fond d’accordéon.

Le "rock français" a quant à lui été fort bien défini par John Lennon qui lui reconnaissait exactement les qualités du vin anglais.

Et pourtant, je connais un emballement francophone de la première heure, dès l’enfance, et il va vers Jacques Higelin. Mon tout premier concert de rock, car oui, c’en était indiscutablement, j’y assistais au Casino de Paris en octobre 1983.

Que reste t’il en soi ancré d’un tel événement si longtemps après ? Le surgissement de l’artiste, de dessous la scène, costumé en vampire, sur les notes de "Champagne". Et la joie de la foule, plus exubérante que dans les concerts de musique baroque.

Cette première fois, émouvante comme elles doivent l’être, m’a laissé une marque définitive et une affection jamais éteinte pour le Grand Jacques.

Je l’ai ainsi revu à de nombreuses reprises, un peu partout, et ai suivi sa discographie avec une relative mais constante fidélité.

Il est parfois crispant ce garçon, comme un type qui ne laisserait personne en placer une lors d’un déjeuner familial du dimanche. Mais il est irrésistible, chaque fois qu’on s’imagine ne plus lui trouver d’intérêt, que l’on croit avoir laissé voguer ses oreilles vers d’autres rivages sonores, sans espoir de retour, il resurgit quand même. Il suffit de pas grand chose, un concert ou un disque. Ce qui se produit exactement aujourd’hui.

Vieillir n’est pas forcément un naufrage, Higelin qui a souvent flirté avec le désastre, semble décidé à nous en convaincre avec cette nouvelle sortie discographique. Disque rêveur et tranchant, le voilà revenu au meilleur de lui-même quand la fin de son existence semble se dessiner de manière nécessairement plus aiguë.

Ce disque, "Higelin 75" (clin d’œil à son âge et à "BBH 75"), vous cueille par le sublime ("Elle est si Touchante") et vous quitte KO debout, exsangue, après une divagation expérimentale et poétique de plus de vingt minutes ("A Feu et à Sang").

Au milieu, coulent mélodies enivrantes et rock abrasif. Et dans tout cela, peu ou pas de chute de rythme, une absence de gras ou de redite d’autant plus notable que le parti-pris du risque dans le laisser-faire gouverne l’album (enregistré en Alsace par Rodolphe Burger).

L’ouverture de l’album mérite à elle seule un commentaire admiratif particulier ("Elle est si Touchante"). Nul autre que lui ne semble décrire aussi bien la fascination qu’opère en nous l’apparition féminine (c’est ici de sa fille qu’il parle), cette impression de ne plus tout à fait s’appartenir, cette joie et cette souffrance.

Jacques retrouve donc la folie et la précision de son dernier chef d’œuvre en date, "Illicite" (1991). Nonobstant mon affection pour lui, je commençais à le voir parfois comme une auto-caricature à la rime facile.

Ce disque terriblement vivant va nous faire l’hiver (qui n’est d’ailleurs pas encore là), réjouissons-nous.

Je l’ai rencontré une fois, par hasard, un soir avenue Hoche, à Paris, il cherchait désespérément un taxi. Ébouriffé et comme absent à lui-même, j’entrepris de l’aider mais je ne réussis pas à nouer un véritable contact quand j’avais tant de choses à lui dire. Sans lui, sans cette cassette orange avec les albums "Caviar" et "Champagne" dedans, qu’en serait-il de ma mélomanie, qu’en serait-il de la vie ?

"Je ne vis pas ma vie, je la rêve", quelle meilleure possibilité d’existence ?

Sébastien

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