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Journalistes corrompus et lecteurs "bien pensants"

jeudi 29 janvier 2004, par Noémie Bisserbe

Les journalistes sont aujourd’hui accusés de tous les torts...manipulation de l’information, corruption, abus de leur position parfois influente. Dans quelle mesure ce procès est-il justifié ?

On reproche aujourd’hui aux journalistes de ne pas offrir une information viable et objective.
Si le rôle du journaliste est avant tout d’informer, il doit également analyser l’actualité et stimuler une réflexion autour de cette dernière. La seule façon de faire réfléchir son lecteur est de montrer qu’on a soi-même réfléchi. Dès lors, lorsqu’un journaliste expose un point de vue, son article constitue le point de départ d’une réflexion ou d’un nouveau débat. L’opinion présentée par le journaliste dans un article, si elle doit être argumentée et s’appuyer sur une information viable, n’en demeure pas moins subjective. Mais si elle est présentée comme telle, quel mal y a-t-il à cela ? Le lecteur est libre d’adhérer ou non à la pensée du journaliste, et la lecture de l’article reste dans un cas comme dans l’autre, enrichissante. Une opinion se construit également par opposition. On ne peut pas reprocher à un journaliste d’exposer un point de vue auquel certains pourraient adhérer sans réfléchir. Son rôle n’est pas d’apprendre à ses lecteurs à réfléchir par eux-mêmes. Il appartient au contraire au lecteur de faire la part des choses. Un article devrait toujours être perçu comme une invitation à réfléchir par soi-même et non être utilisé comme du prêt à penser. Peut on donc reprocher à un journaliste d’exposer son point de vue, tout subjectif qu’il soit ? Certainement pas.

En effet, les lecteurs de la presse ont bien trop souvent un comportement de consommateur. Plutôt que de se construire leur propre opinion en confrontant différents points de vue, en lisant différents journaux, ils recherchent une pensée toute faite, ou même oserais-je ajouter, ils attendent de leur journal qu’il leurs dise ce qu’il faut penser. Ainsi, si on assimile par exemple, Libération à un journal politiquement à gauche et que l’on se veut de gauche, alors on ne peut que boire les paroles des journalistes de « Libé ».
Lors d’une conversation assez animée, l’un de mes amis a posé une question qui m’a mise hors de moi. Nous parlions de la presse et l’un d’eux expliquait que tel journal était en bref, un torchon. C’est à ce moment là qu’un autre a demandé ingénument : « Mais alors que faut-il lire ? ».
Personne ne peut prétendre qu’assimiler un journal à une idéologie politique n’a pas de sens, cependant il est selon moi important, voire essentiel, de lire différents journaux, pour se construire sa propre opinion. On choisit trop souvent un journal de prédilection, qui correspond à une idéologie à laquelle on souhaite s’identifier, et alors on s’interdit de lire des choses avec lesquelles on ne serait pas d’accord, ou bien qui ne correspondent pas aux idées politiques que l’on souhaite revendiquer. Et c’est selon moi une erreur. Car plus on lit, plus on apprend. Et connaître et comprendre les arguments adverses, est une façon de ne pas diaboliser ce que l’on ne connaît pas, et d’avoir une opinion réfléchie. Cette peur et cette paresse, ce besoin d’être toujours « bien pensant », sont des obstacles redoutables à toute réflexion.

Ainsi, si les idées du journaliste découlent d’une analyse approfondie de l’actualité, et que ce dernier expose les limites de son raisonnement, le comportement de consommateur du lecteur est seul responsable des dérives actuelles. Cela reviendrait à dire que si finalement le débat autour de l’actualité est biaisé, la faute en incombe aux lecteurs qui ne savent pas l’interpréter. Pourtant non, ce n’est pas vraiment le cas.

Le rôle du journaliste reste avant tout de rechercher l’information la plus objective possible et d’analyser cette dernière. Ce n’est qu’ensuite, au terme de cette analyse, qu’il peut et doit formuler ses idées. Il me semble pourtant que le processus soit bien souvent inversé. Le journaliste assujettit les faits, aux idées qu’il souhaite faire passer, idées en adéquation avec ce que les lecteurs attendent de leur journal. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises n’est pas la question. Ainsi le journaliste pour faire passer une idée, présente une information partielle et biaisée qu’il utilise au service de ses convictions irrationnelles. Comment dès lors, peut le lecteur prendre du recul par rapport à ce qu’il lit ? Si le journaliste appuie ses idées sur une information objective, ou du moins aussi objective qu’elle peut l’être, il ne peut que laisser la possibilité au lecteur de ne pas être d’accord. Tout raisonnement a ses limites, et le journaliste doit s’efforcer de toujours les exposer. Certains diront que c’est impossible de le faire si l’on veut être crédible. Je leur répondrais que c’est faux. On ne peut être crédible que si l’on montre que l’on connaît les arguments de ceux qui ne pensent pas comme nous et que l’on a réfléchi aux limites de notre propre raisonnement. Je veux devenir journaliste et je suis persuadée qu’il est possible de présenter une opinion réfléchie, découlant d’une analyse approfondie de l’actualité (et non l’inverse), tout en montrant les limites de son argumentation, et en incitant ainsi le lecteur à réfléchir.

Je pense que finalement on ne peut que inviter les journalistes non pas à plus de modération, mais à ne pas toujours présenter leur opinion comme une vérité irréfutable et figée. Tout simplement, à plus de modestie.

Messages

  • Je dirais plutôt qu’on reproche aux journalistes, non pas, de ne pas offrir une info viable et objective, mais de faire croire que l’information fournie est objective, alors que le journaliste ne peut qu’être engagé, donc subjectif. En effet, éthymologiquement, journaliste, ça veut dire "analyste d’un jour". Quand les journalistes étaient envoyé sur le terrain, ils devaient enquêter, analyser, puis transmettre. Aujourd’hui, l’information se veut instantanée. Dépèche AFP retransmises "en live", images du jour présentée au JT sans que l’on puisse percevoir une analyse. Cette instantanéité pousse les journalistes (ou plutôt "instantanéistes") à ne plus analyser, mais ressortir de la pensée toute faites, toute prémachée. Combien de journalistes en France restent toute la journée sur leur ordinateur à surfer sur Internet et chercher les dépèches, et les retranscrire mot pour mot ? Je dirais que c’est le cas de la grande majorité.Le journalisme d’investigation n’existe plus vraiment, et ce sont les pages "opinions", "débats", "rebonds" qui fourmillent dans nos grands journaux.

    Lire différents journaux, c’est bien, mais, on arrive vite à la conclusion suivante : ils disent tous en substance la même chose. En effet, contrôlés par les mêmes intérêts privés, des mêmes actionnaires et des mêmes groupes de presse, la couverture d’un événement se révèle souvent identique d’un journal à un autre (voir l’expression "prise d’otage" reprise par Libé, Figaro, Le Monde, TF1, France 2, France Inter, et j’en passe, la liste serait trop longue...).

    Je trouve un peu facile de dire que c’est de la faute du "consommateur" si on a le journalisme qu’on a. Je pense que les tenants de l’ordre moral et économique sont assez puissants pour maintenir la presse et les médias dans leur rang. Ne peut être journaliste qui veut. Il faut avoir fait une école de journalisme où l’on apprend que l’info est une marchandise comme les autres, et que si elle n’est pas assez vendable, elle ne doit pas être traitée. Le "consommateur" qui est avant tout un citoyen ne peut que subir cet état de fait. Accepter l’info qu’on lui donne ou devenir lui même journaliste pour pouvoir chercher ses propres réponses.

    L’auto-critique journalistique est plus que lamentable aujourd’hui, je pense qu’il faut commencer par là pour pouvoir dire que le journalisme est sérieux.

    TOMA

    • Lorsque j’invite les journalistes à plus de modestie, ce que je signifie par là est qu’ils ne devraient pas présenter leurs articles comme un point de vue objectif, ce qui revient bien à dire, pour reprendre tes mots, qu’ils font « croire que l’information fournie est objective » ou bien encore qu’ils ne sont pas suffisamment « autocritiques ». En ce sens, le journal Le Monde par exemple, a tort de se poser en référence.

      Maintenant si certains journalistes reprennent telles quelles les dépêches de l’AFP, et bien on ne peut que les encourager à mieux rechercher l’information, ils ne sont pas condamnés à procéder de cette façon. Le reportage et l’investigation n’appartiennent pas à une ère révolue, d’où l’intérêt entre autres, des correspondants à l’étranger. Pour citer un journal que je connais un peu, plus de la moitié des journalistes du Courrier international travaillent exclusivement depuis l’étranger et ces derniers s’efforcent de rechercher une information qui ne se limite pas au seul point de vue de la presse française. Encore une fois, je ne fais pas l’apologie des journalistes, j’affirme simplement que tous les journalistes ne se bornent pas à relayer une information biaisée.

      Si à la lecture de mon article, on comprend que j’estime que les dérives de la presse incombent entièrement à la faute du lecteur, je me suis mal exprimée. Je suis convaincue que les dérives de la presse sont entretenues par l’inertie des lecteurs, mais je ne prétend pas savoir par où, ou plutôt, à cause de qui, journalistes ou lecteurs, cela a commencé, et je ne suis pas sûr que cela est même de l’importance.

      Enfin, ce qui est selon moi trop facile, c’est d’être plein de colère et de mépris, et, à tout condamner en bloc, on ne peut que se rendre désespérément, malheureux.

      Voir en ligne : Journalistes corrompus et lecteurs "bien pensants"

    • Je ne suis pas convaincu que ce soit Le Monde qui se pose en référence. Il est devenu une référence par son histoire, par les prises de positions de son fondateur, et par le travail fourni par certains journalistes. Il se pose surtout comme "journal sérieux" et se veut "objectif" (comme disait Desproges il me semble : "l’objectivité journalistique, c’est une minute pour les juifs, une minute pour les nazis"), et par ses deux valeurs est devenu une référence pour le reste du milieu journalistique parisien, qui se voudrait national.

      Sur la pratique du journalisme, si, effectivement, "les journalistes ne sont pas condamnés" à reprendre des dépêches AFP, j’ai bien peur que le principe ne soit entériné. Aucun JT n’est préparé sans la lecture des "grands" quotidiens nationaux, les journalistes reprennent les informations des journaux pour savoir quoi dire à la télé, et ensuite les "grands" quotidiens s’inspirent de ce qui passe à la télé pour écrirent dans leurs colonnes. A ce cycle de l’information s’ajoute la radio et internet. La plupart des journalistes est donc condamnée, par le fonctionnement même de la production d’information, à rester toute la journée dans son bureau, à lire les autres journaux, les dépêches, surfer sur internet pour avoir des précisions sur le lien fourni dans le journal concurrent, écouter la radio, regarder les JT....

      Ces pratiques sont celles apprises de manière privilégiée dans les écoles de journalisme. Rien d’étonnant donc qu’elles soient largement appliquées. Quant à ton exemple de Courrier International, il ne fait que corroborer ce que je dis. En effet, si les journalistes de Courier sont pour la plupart des correspondants à l’étranger, leur travail si j’ai bien saisi le contenu du journal, c’est de lire la presse étrangère pour la traduire en français.

      Il serait cependant dommage qu’on pense que je condamne tout en bloc et que je n’ai que mépris et colère face aux journalistes dans leur ensemble. Je ne les condamne pas eux en tant que personnes, je condamne des pratiques qui sont issues des dérives d’un système qui broie tout ce qu’il touche en étant appliqué sans discernement. C’est parceque l’information est devenu "une marchandise au même titre que les poireaux" que les pratiques liées à sa production a changé. Le travail du journalisme change considérablement selon qu’il soit soumis à un impératif d’investigation ou de recherche d’audience. Dans le premier il devra utiliser son engagement pour chercher l’information, la recouper, l’analyser et la mettre en perspective. Dans le second, il devra faire des études de marché pour savoir de quoi il est de bon ton de parler pour flatter le lecteur, le divertir, afin d’augmenter une audience.

      Je suis bien persuadé que la plupart des journalistes a une vision bien plus noble de leur métier, mais je sais aussi que la peur de perdre son emploi, mais aussi toute la reconnaissance sociale associée, fait qu’on s’adapte au système plus qu’on ne le met en cause. Ainsi, et pour ne par re-citer le cas de Schneiderman, je prendrais l’exemple de Florence Amalou, journaliste au Monde, qui a écrit Le livre noir de la publicité, qui s’est vu ensuite interdite de la section "communication" dudit journal. Comme quoi, quand le journaliste cherche trop, la direction, sûrement aiguillée dans ce cas par les annonceurs, musèle et donne l’exemple aux journalistes qui voudraient avoir des points de vue trop "engagés".

      Je ne condamne donc pas des hommes et des femmes en particulier, mais une logique productiviste appliquée sans discernement à toute chose. La critique n’est pas une fin en soi, mais le commencement d’une réflexion. On doit apprendre de nos erreurs pour faire mieux. Encore faut-il les percevoir et les condamner.

  • Je dois dire que j’ai apprécié l’article de Noémie qui a le mérite de recadrer quelque peu le débat. Etre journaliste ce n’est certainement pas être objectif (l’objectivité absolue est de toute façon une vue de l’esprit) et par ailleurs, lorsqu’on ouvre un journal, on en connaît en général les tendances politiques. C’est donc prendre le lecteur moyen pour un abruti complet que d’imaginer que lorsqu’il ouvre le Monde ou le Figaro, il en attend une pensée sereine et objective sur l’état du monde.
    Il faut également se méfier du discours type "tous pourris, tous corrompus, etc..." D’abord parce qu’il s’agit d’une dialectique typique de l’extrémisme politique ou religieux. On retrouve toujours les partisans de sectes ou l’extrême-droite/gauche pour dire que l’on nous cache tout et que la réalité du monde nous est dissimulée par des puissances obscures et organisées. la théorie du complot est de plus une idée extrêmement efficace puisque par nature indémontrable.
    La presse française est perfectible, mais je ne crois sincèrement pas qu’elle soit muselée par le "grand capital". Elle n’est pas objective et commet parfois des erreurs. Il faut effectivement en lire beaucoup, se promener parmi les publications et tenter d’y trouver son propre cheminement intellectuel.
    Mais surtout, s’acharner sur la presse, c’est oublier qu’elle n’est rien face à la télévision devant laquelle les français se vautrent pratiquement 4 heures par jour...

    • Je n’ai pas l’impression d’avoir exprimé un quelconque "tous pourris, tous corrompus". Je ne parle pas non plus de théorie du complot, ne t’en déplaise. Je parlerais plutôt d’intérêts croisés et imbriqués les uns dans les autres. Est-ce si extrémiste de réaliser que 90% des publications françaises appartiennent à 4 ou 5 groupes de communication, groupes qui ont souvent des intérêts dans différents autres secteurs économiques (notament militaro-industriel) ? N’est-il pas étonnant de voir qu’il n’y a qu’un seul journal en France (Le Canard enchainé) qui ne soit pas financé par la publicité ?

      Je ne dis pas qu’on nous cache tout, mais qu’on occulte. Tout est dit (ou presque), mais tout est noyé dans une mer d’information. Selon l’importance que le milieu journalistique donne à un événement, l’information prendra plus ou moins de place. Ainsi, on rabache le voile, et on parle à peine de la loi Perben II. Le "débat" se concentre donc sur l’un quelque peu stérile, et oublie l’autre qui a un réel impact sur nos vies et nos libertés. C’est plus vendeur de parler du "problème" des musulmans en France et de leur "intégration" que d’expliquer les articles d’un projet de loi. On axe donc sur le premier, et on fait un ou deux encarts sur le second. Ce dernier, s’il est abordé, n’en est pas moins noyé.

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