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Il faut tenter de vivre

« Le Vent se Lève » de Hayao Myazaki

mardi 18 février 2014, par Sébastien Bourdon

L’autre jour, j’entendais mon libraire tenter maladroitement d’expliquer à un type venu trouver « un livre pour une petite fille de huit ans » qu’une telle chose n’existe en fait pas réellement. En effet, qu’importe l’âge, seuls le goût et l’appétence comptent. Et puis, comme le disait Jimi Hendrix à propos de la musique, mais qui vaut pour la littérature, il n’y en a que deux sortes, « la bonne et la mauvaise ».

S’agissant du cinéaste Hayao Myazaki, il faut littéralement vivre dans une grotte depuis trente ans pour imaginer que son œuvre dessinée ne se destine qu’à un public d’enfants. Si tel est ton cas, ami lecteur (si tu existes), il est encore temps de te ruer dans une salle obscure, mais ne tarde d’autant pas que cet opus sera l’ultime œuvre du maître japonais.

Si mon cinéma de quartier nous épargne la publicité, il a quand même bien fallu ingurgiter quelques bandes annonces avant notre film, et j’ai notamment été sidéré par la laideur du remake de « La Belle et la Bête » par Christophe Gans, n’y avait-il rien d’autre dans lequel mettre 30 millions d’euros ? Après ces courtes mais réelles épreuves esthétiques, quel bonheur que de voir notre âme s’envoler dès les premières images du film de Myazaki. Cet aspect éthéré de l’œuvre est d’autant plus fondé qu’il y sera beaucoup questions d’avions, le film étant une évocation de la vie de l’ingénieur Jiro Horikoshi, inventeur des devenus tristement célèbres « chasseurs zéro » dans lesquels se sont illustrés les kamikazes (en langage plus technique et nettement moins évocateur, les chasseurs bombardiers japonais Mitsubishi A6M).

Pour ce faire, le cinéaste, s’il ne renonce ni à la féérie et à la rêverie, délaisse un peu les aspects fantasmagoriques typiquement japonais de son œuvre, et s’intéresse de plus près à un triste réel. L’ingénieur de génie dont il est question avait tiré du souffle de ses songes d’enfant une incroyable capacité à imaginer, puis à créer des objets volants. Ses intentions étaient pures, faire plus beau, plus grand, tenter de tutoyer plus encore le ciel. Las, c’était oublier la malédiction des avions, machines de mort en puissance, ce que ne manqueront pas de devenir ses inventions. A son corps défendant, ou presque, puisque comme il l’expliquera à son équipe, sans mitraillettes, ses œuvres seraient plus rapides encore.

Lorsque ne se déchaînent pas les catastrophes naturelles et que la menace du déchaînement guerrier se fait plus discrète, le film promène notre héros dans un Japon enchanteur, mais aussi dans une Allemagne au charme indiscutable. En effet, Jiro Horikoshi avait également contribué à l’effort de guerre dans cette contrée, dans le cadre d’un partenariat avec l’avionneur Junkers. Le film créé alors un parallèle entre ces deux contrées, durant l’entre-deux guerres. Alors qu’il se promène le soir dans les rues allemandes, l’ingénieur voit tout à coup surgir une foule armée de bâtons courant à la poursuite d’un pauvre hère, dans un déchaînement de violence incompréhensible. Il reconnaît alors dans la meute haineuse une personne croisée à l’usine le jour même, devenue presque méconnaissable dans sa sauvagerie. Ce jaillissement bestial est évidemment annonciateur du pire à venir et, de manière particulièrement brillante, l’on constate que les ombres de ces personnages sont encore plus effrayantes qu’eux-mêmes.

L’on sent notre cinéaste très impliqué dans cette évocation de deux civilisations anciennes, raffinées et esthètes, mais au bord du gouffre, puisque sur le point de presque s’autodétruire dans d’absurdes affrontements meurtriers. Il n’est ainsi pas anodin d’entendre le funèbre « Winterreise » de Schubert jaillir d’une fenêtre éclairée dans la nuit allemande.

S’il est possible d’être à la fois émerveillé et abattu, c’est dans cet exact état d’esprit que l’on quitte la salle. On en viendrait presque à se réjouir de l’imbécilité des hommes, de la guerre et de la nature grandiose et impitoyable puisque tout cela conjugué permet aux poètes de réaliser de si grandes œuvres.

Sébastien

P.S. 1 : De manière moins dramatique, l’on avait perdu l’habitude de voir un film où les personnages fument autant, on se croirait dans une œuvre de Claude Sautet, il semble d’ailleurs que cela ait froissé certaine ligues de vertu. Il faut pourtant reconnaître que les volutes de la fumée de cigarettes se marient fort bien avec les rêves aériens.

P.S. 2 sinon, dans le genre tous publics et particulièrement réjouissant, il faut voir « Minuscule ». Ces insectes bruyants et mal élevés font à juste titre la joie des grands et des petits, tant il est savoureux que d’assister à cette représentation de la vie animale et minimale sans l’habituelle guimauve Disney.

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