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« I Feel Good » de Benoît Delépine et Gustave Kervern

jeudi 7 juin 2018, par Sébastien Bourdon

La Beauté des Laids

Monique (Yolande Moreau) dirige une communauté Emmaus, et pas des moindres, puisqu’il s’agit du plus grand site existant, basé à Pau. Ce lieu de recyclage du passé pour le bien futur des plus démunis est essentiel à l’oeuvre, si présent à l’image qu’il en devient un personnage du film.

Son frère, Jacques (Jean Dujardin), un crétin hâbleur, débarque un beau matin, en peignoir et mules volés en thalassothérapie, après quelques années sans avoir donné de nouvelles.

Cet abruti, que l’on peut commencer par trouver sublime, n’a fait de ses quarante années passées qu’une errance à s’imaginer riche entrepreneur, naviguant en réalité entre combines minables et vie aux crochets de ses parents communistes (du domicile desquels il a un jour été chassé, après vingt ans d’année sabbatique).

Jacques est en réalité un malade qui s’ignore, tout hilarant qu’il soit. Insupportable bateleur, malhonnête et menteur, il ne jure, mais de bonne foi, que par les fausses divinités contemporaines, de préférence américaines, de Bill Gates à Steve Jobs (quoiqu’il confesse avoir eu de la tendresse pour Bernard Tapie). Il rêve d’or mais n’est qu’un veau.

Ses tentatives pathétiques de s’en sortir par des idées plus ou moins obsolètes ou grotesques, donnent lieu à une succession de saynètes en flashbacks exposant ses diverses carabistouilles, toutes particulièrement hilarantes.

Convaincu de ce que Marx et Engels n’ont jamais permis l’acquisition d’une piscine avec pergola, il continuait à phosphorer jusqu’à que l’idée lui vienne de la rencontre fortuite avec un ancien camarade de classe méconnaissable, anciennement gros et pauvre, devenu svelte et riche (interprété par, idée géniale, l’ex syndicaliste Xavier Mathieu).

Il en est certain, pour être riche, il faut être beau, il décide donc de créer une société de chirurgie esthétique low-cost, avec opérations à bas coûts en Bulgarie (ancienne antenne communiste donc).

Réfugié chez sa sœur, il voit dans la communauté des travailleurs le cheptel idéal à qui vendre son baratin. Et le voilà qui arpente les allées d’Emmaus, tentant de convaincre les compagnons de ce qu’ils sont moches et qu’une fois opérés, le monde sera à eux.

Évidemment, ils ont déjà un monde à eux, fait de bric et de broc, de pièces raccommodées qui se tiennent. La vraie laideur est dans l’épouvantable discours de Jacques, bourré de poncifs, sorte de théorisation pathétique d’une société refusant de ne voir de beauté ailleurs que dans l’image et l’argent qui permettrait de l’acheter.

Dujardin, qui n’a sans doute jamais été aussi bon, et dont on a l’impression qu’il était fait pour la poésie brutale de Kervern et Delépine, est aussi drôle que terrifiant dans sa dévotion au CAC 40 et aux moguls de Wall Street (avec son cahier de collages de ses PDG préférés et le livre autobiographique de Bill Gates, entièrement surligné par ses soins).

Avec un tel décor posé, l’on pouvait légitimement craindre une œuvre démonstrative et lourdingue. Mais Kervern et Delépine sont des punks, on sait de quel côté on se trouve, mais on ne laissera personne s’installer confortablement dans une idéologie lourdement débitée.

Le film recèle ainsi suffisamment d’étrangeté poétique pour ne jamais sombrer dans la démonstration vaine et rhétorique. Mais il contient quelque chose de profondément beau et rassérénant. Répétons-le, on sait de quel côté on est. Et on rit un peu jaune de ce type qui revend son seul bien par morceaux sur EBay, sa vieille caisse pourrie, et qui, le pare-chocs sur l’épaule, se déclare « en marche ».

Cet équilibre subtil entre choses à dire et ton décalé donne sans doute ce qui est à ce jour leur film qui se tient le plus. La trajectoire est limpide, tout en ne refusant ni le chemin de traverse, ni l’errance, jusqu’à la fantasmagorie.

Sébastien Bourdon

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