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Des Femmes et des Dieux

« Le Narcisse Noir » de Michael Powell et Emeric Pressburger (1947)

mercredi 22 mai 2013, par Sébastien Bourdon

On pourrait vous parler du film, de son scenario, de ses conditions de tournage, de ses acteurs, mais avant tout, il faut évoquer la matière dont il est fait, le Technicolor, ici en majesté. Quoi de plus beau sur grand écran, dans une copie restaurée, qu’un film tourné selon ce procédé. L’on voudrait toucher l’écran tant la matière est vivante et belle, presque tangible. La pellicule utilisée ici est faite de trois couches superposées, particulièrement délicate à voir comme à manipuler et le rendu en est somptueux.

L’œuvre, comme la pellicule dont elle est faite, impressionne aussi par la justesse de la restitution des lieux. En effet, si l’action se déroule dans un monastère perdu dans les hauteurs de l’Himalaya, le film a été intégralement réalisé en studio à Londres (à l’exception de quelques extérieurs, tournés dans un jardin anglais, que l’excentrique propriétaire avait tenu à fleurir de plantes et pousses venues de « là-bas »). On en oublie les peintures et le carton pâte, on s’y croirait.

En ces lieux perdus et magnifiques, s’installe sur ordre une congrégation de bonnes sœurs anglicanes, menée d’une main qui ne se voudrait pas tremblante par une jeune supérieure, Sœur Clodagh (Deborah Kerr).

Nouvelle dans la fonction, peu ou pas grand-chose ne lui sera épargné en cet endroit isolé et balayé par le vent. Ce dernier, omniprésent, révèle autant la sensualité que les tensions. En effet, sur ces hauteurs, le souffle de l’air plaque les vêtements, exaspère autant qu’il excite, et l’immensité à perte de vue libère l’esprit de ses carcans, renvoyant aux frustrations passées comme aux désirs immédiats. Il est vrai que cet endroit servit un temps de refuge aux concubines d’un général indien et le vent soufflant dans les rideaux révèle ainsi ponctuellement les peintures érotiques qui tapissent les murs, trahissant la vocation première des lieux.

En proie à l’incompréhension parfois hostile des locaux, exaspérées par l’isolement révélateur, les sœurs finissent par y perdre leur latin jusqu’à une apothéose violente et terrible (impressionnante Kathleen Byron). Ces femmes seules en un lieu perdu, presque inquiétant, mais d’une rare beauté, m’ont ramené durant la projection à un film postérieur, d’où a peut-être même été tiré son inspiration, « Suspiria » de Dario Argento (1977). Il s’avère d’ailleurs que ledit film du maître du giallo italien a été réalisé selon le même procédé technique (Technicolor) et pour une ultime fois avec ce qui restait de pellicule le permettant.

Le désir se transformant en pulsion morbide, ce que l’on ne peut obtenir, il faut alors le détruire, tel est l’objet et ce qui fait la puissance de ce vénéneux « Narcisse Noir ». Le charme un peu désuet du film n’en dissimule ni la beauté ni la violence (n’oublions pas que le même Powell, cette fois sans Pressburger, réalisera en 1960 le terrifiant « Peeping Tom » - « Le Voyeur »).

Michael Powell, qui exerça d’abord ses talents dans la banque, s’y ennuya et se lança dans le cinéma du fait de la proximité des studios de la Victorine à Nice où il vivait en 1922. Il est des revirements de carrière que l’on ne saurait déplorer.

Sébastien Bourdon

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