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« Communiquons plus » qu’ils disaient....

samedi 18 septembre 2004, par Thomas Bourgenot

Qui n’a jamais vu deux personnes à la terrasse d’un café, chacune un téléphone portable à l’oreille ? Qui n’a jamais été dérangé en pleine conversation par une sonnerie imitant le générique de Magnum ? Et qui a déjà compris du premier coup un texto sans devoir le relire quatre fois ?

Depuis cinq ou six ans que le portable s’est généralisé, on n’arrête pas de dire qu’on communique plus. Certes, les factures de tout un chacun le prouvent, mais communique-t-on mieux pour autant ?

“Devine d’où je t’appelle ?”

Je me souviens d’un professeur d’économie au lycée nous expliquant la stratégie marketing des opérateurs de téléphonie mobile alors que le taux de pénétration de ces appareils était encore ridicule. A cette époque seuls les quelques très riches et technicistes lycéens se permettaient de sortir leurs portables pendant les pauses. A cette époque, je voyais environ un portable par semaine. La plupart de mes concitoyens considéraient alors cet outil comme superflu, voire comme un accessoire de frime comme on s’achète une Ferrari, plus pour montrer un statut social prétendu que pour se déplacer. On disait alors : « déjà que le téléphone fixe me dérange, je me vois mal être dérangé à tout moment, dans la rue, au cinéma ou aux toilettes... ». On s’amusait sur les utilisateurs de cellulaires qui n’appelaient que pour demander à leur interlocuteur : « Devine d’où je t’appelle ? ». Et c’est vrai qu’on s’amusait bien.

L’explication de la stratégie marketing de mon professeur était plus que rationnelle, et pleine d’espoir sur la baisse des tarifs (comme celle d’un autre qui nous disait que lorsque nous entrerions sur le marché du travail, le taux de chômage serait très faible et en notre faveur, alors qu’à l’époque, ce taux était de 13%, on voit que les espoirs des professeurs d’économie de lycée sont souvent non fondés...). Il nous expliquait que les opérateurs facturaient très cher les communications « fixes vers portables » pour inciter les utilisateurs de fixes ayant des amis possédant un portable, à s’acheter un portable pour pouvoir communiquer moins cher. Il nous expliquait enfin que lorsque le marché serait « saturé », les prix de ces communications baisseraient pour s’aligner à peu près sur les tarifs « fixes vers fixes ».

Aujourd’hui, alors que le taux de pénétration a dépassé les 70% en France, que les analystes les plus sérieux arrivent à la conclusion que le marché est saturé, on voit mal cette baisse des tarifs tant attendue. Une fois n’est pas coutume, ce sont même les Américains qui sont en « retard » sur ce point par rapport à nous, les gaulois. En effet, leur taux de pénétration dépassait difficilement la barre des 50% fin 2003, et pourtant, les distances dans leur pays justifieraient mieux la possession de ce que d’aucuns appellent le « brûle-cerveau ».

Alors voilà où on en est aujourd’hui. Le marché est saturé. Il n’y a plus que des gens comme moi ou notre webmestre préféré pour ne pas en posséder, et ce n’est pas une question de tarif qui nous fera changer d’avis. Les publicités pourront continuer à nous dire qu’il faut « communiquer plus », j’aurais toujours du mal à y croire. « Pourquoi ? » me demanderez-vous. « Grâce à mon téléphone, si je suis en retard, je peux prévenir la personne qui m’attend que je serai en retard. Si je ne la trouve pas, je peux l’appeler pour lui dire de lever le bras dans la foule. Si je suis en panne, je peux appeler une dépanneuse sans marcher un kilomètre. Si je m’inquiète pour mes enfants, je peux les appeler pour vérifier qu’ils sont bien au cours de violon, etc. »

« Ca que je connais pas, je mange pas »

Oui, mais. Malgré tous ces arguments, je reste circonspect sur cet appareil qui booste la croissance économique. Un des premiers points est que personne ne connaît la nocivité de ces engins. Il faut dire que seuls les entreprises privées ou les Etats pourraient financer des études convenables et sérieuses. Or les premières, si elles en ont financé, n’ont pas tenu à dévoiler les résultats, ou ont arrêté les études quand les chercheurs allaient trop loin dans leurs conclusions. Leur intérêt n’étant pas de démontrer une nocivité pour apprendre aux consommateurs à utiliser leurs portables de manière inoffensive, mais bien de les faire consommer plus. Quant aux Etats, tout ce qui est bon pour la croissance est bon pour eux, ils n’ont donc pas plus intérêt à faire des études poussées sur la nocivité des ondes des téléphones et des antennes. La seule conclusion sur laquelle tout le monde soit d’accord, c’est : « on ne sait pas ». Exit le « principe de précaution » quand il y a des gros sous à la clé.. Or, dans mon pays, il existe une maxime qui s’applique très bien dans ce genre de cas. C’est : « Ca que le paysan, il connaît pas, il mange pas. »

Le problème, c’est que des ondes, j’aimerais bien ne pas en manger, mais, il se pourrait que j’habite à quelques mètres d’une antenne GSM, je ne pourrais le savoir. Chaque fois que je sors, je passe à côté de personnes qui téléphonent ou qui ont un téléphone en veille dans leur poches. Les ondes, bien que je ne les connaisse pas, je les mange quand même. Et leur goût est quelque peu amer...

Comportements troublants

S’il n’y avait qu’une question scientifique, je pense que je n’écrirais pas cet article, et que vous pourriez continuer à utiliser votre téléphone sans que je sois plus que cela dérangé... En fait, ce qui me chagrine le plus, c’est peut être les comportements sociaux associés à l’utilisation des téléphones portables.

En effet, les opérateurs sont unanimes sur ce point (pour une fois...) : le téléphone portable est censé régler un problème de communication. Or, loin d’être complètement réfractaire (il m’arrive même de me dire une à deux fois par an que dans telle ou telle situation, un portable m’eût été utile), je continue à me poser des questions sur l’utilité et sur le fait que le portable soit une réelle réponse à un problème de communication. Je m’explique.

« Dreling dreling »

En premier lieu, les sonneries. Bien qu’elles soient de moins en moins agressives, ces petites « musiques » restent pour le moins dérangeantes, et nuisent, à mon humble avis, à la sérénité d’un environnement sonore déjà largement mis à mal par les moteurs des véhicules automobiles à essence de pétrole, les radios mises à fond dans le métro ou les supermarchés, ou encore les klaxons utilisés abusivement par des automobilistes pressés de quitter les embouteillages. Je ne parle même pas ici des personnes qui oublient d’éteindre leur mobile au cinéma et qui ont l’outrecuidance de répondre en pleine séance (pour dire « Devine d’où je te réponds ? »), ni de ces individus qui choisissent leur nouvelle sonnerie dans le bus ou le métro. Il me semble que cette pollution sonore ne participe pas à la « mieux communication ».

Ensuite, je suis toujours quelque peu gêné quand je vois des personnes à la terrasse d’un café, chacune son portable sur la table, espérant que la sonnerie précédemment citée abrège un silence prolongé. Imaginons la scène. Je pense que ce ne sera difficile pour personne. Nous avons Jacques et Christine, amis qui ont décidé de prendre un café. Jacques a décidé d’enfin déclarer sa flamme à Christine après des mois d’hésitation.

 Jacques : « Christine, j’ai quelque chose à te dire, ça fait des mois que je veux te le dire ».
 Christine : « Oui, vas-y, je t’écoute »
 Téléphone de Christine : « Dreling dreling »
 Christine : « Attends, deux secondes, je réponds... » « ...Ah Françoise comment ça va ? Ca fait au moins un quart d’heure qu’on s’est pas vu, qu’est ce que tu deviens ? »

Je nous passe la conversation qui suit, hautement instructive. Le hic. Jacques s’ennuie. Il regarde son mobile à lui. Et le sien ne sonne pas. Il en est à son deuxième demi. Christine n’a toujours pas fini sa conversation passionnante avec sa copine, et n’a pas l’air de vouloir conclure. Jacques se dit qu’il faudrait donc qu’il montre à Christine qu’il a lui aussi des amis. Il décide alors d’écrire un SMS à son ami Nicolas. Celui-ci s’empresse de l’appeler, sentant son pote en manque de communication. C’est alors que commence une conversation tout aussi passionnante que celle engagée entre Christine et Françoise. Or cette conversation là se termine trois minutes après que Nicolas ait appelé. C’est maintenant Christine qui s’ennuie et qui va écrire un SMS à un autre ami, disons Alain (ou plutôt “Al-1” tel que c’est écrit dans son répertoire...). On pourrait continuer comme ça pendant quelques conversations. Disons qu’il ne s’est passé qu’une demi heure depuis que Jacques et Christine ne se sont pas parlé pour cause de communication payante. Eh bien Jacques a oublié (passionné qu’il a été par ses communications) qu’il avait décidé de lui déclarer sa flamme et Christine doit de toute façon s’en aller. Elle a rendez-vous. Ils reportent donc leur entretien à plus tard. Il y a de fortes chances que ce dernier se passe comme le précédent.

On me dira que j’exagère. Certes, mon exemple est poussé au paroxysme du ridicule d’une utilisation ridicule du téléphone portable. Mais ces situations se produisent tous les jours. On voit des couples marcher dans la rue, l’un avec un portable à l’oreille et le rire à la bouche, l’autre avec le sac à la main et la larme à l’œil. Ces situations ne sont pas que ridicules. Elles sont pathétiques, voire tristes. On privilégie des communications virtuelles, payantes et dangereuses pour la santé au détriment des communications réelles, gratuites et saines.

Retard à outrance

J’ai l’impression (mais n’est-ce qu’une impression) que depuis que tout le monde peut communiquer n’importe où, n’importe quand, le nombre de retards à des rendez-vous s’est accru. En effet, chacun se dit : « c’est bon, je peux arriver en retard, je préviendrai ». Et effectivement, on arrive en retard. Certes, me direz-vous, les gens arrivaient aussi en retard avant. Mais aujourd’hui, quand on est en retard, on peut prévenir. Et c’est vrai que ça fait une belle jambe quand on attend depuis 10 minutes, que de savoir que l’autre est en retard. Comme si on n’avait pas remarqué qu’on était en train d’attendre. Ca, c’est moderne. On peut enfin savoir si on attend ou pas. Alors qu’avant on attendait, mais on ne le savait pas.

Blague à part, et loin d’être un « avantiste » qui dit que c’était forcément mieux avant, force est de reconnaître qu’avant l’arrivée massive des mobiles, on se devait un minimum de respecter sa parole, sous peine de poser un lapin. Aujourd’hui on peut poser des semi-lapins en toute bonne conscience. Eh bah oui quoi ! On a prévenu qu’on était en retard ! Or « faute avouée à moitié pardonnée », et quand la « faute » est un « semi-lapin », on n’a plus qu’un quart de lapin à pardonner. On avouera que c’est peu. Alors on le fait.

Le problème, c’est que c’est la confiance en la parole qui en prend un coup. Il faut penser différemment. On sait que quand on a rendez-vous à midi, il se peut que la personne arrive à midi et quart, voire à la demi. On sait qu’on peut s’attendre plus facilement à un coup de fil à l’heure du rendez-vous qu’à une arrivée de la personne à cette même heure. Donc, pourquoi arriver à l’heure ? On avait dit un truc, mais on sait que ce truc peut être changé du tout au tout au moment même ou ce truc devait arrivé. Et ça crée une perte de confiance dans la parole de l’autre. Perte de confiance qui nuit à la communication, vous en conviendrez. Or cette perte de confiance dans la parole et donc dans la communication est due justement à un outil censé régler un problème de communication.

Tout cela me laisse pantois.

Perte de vigilance

Enfin, le dernier grief que j’aborderai ici est l’utilisation du téléphone portable lors des déplacements piétons, cyclistes ou automobiles. Il y a une chose que je ne comprends pas avec les piétons qui traversent en téléphonant, c’est qu’ils portent leur « brûle cerveau » du côté où arrivent les voitures. Leur champs de vision est donc largement rétréci et cela cause souvent des freinages dangereux. Je dis cela en tant que cycliste. C’est un constat pour le moins empirique. On ne dispose d’aucune statistique. Mais ça ne rate jamais. On pourrait presque en faire une loi.

C’est un peu comme les automobilistes qui téléphonent au volant. Ils ont toujours le téléphone du côté gauche (pour pouvoir changer les vitesses). Or, c’est du côté gauche que le risque est le plus grand pour eux, puisqu’une voiture qui les percute à gauche les touche de plein fouet.

Le téléphone agit, j’ai l’impression, comme la voiture par rapport à la route. Etant en communication avec son monde, on se sent « dans sa bulle », donc protégé. Nul besoin de faire attention, on est défendu par notre communication.

Mais, c’est tout le contraire. Une des rares études qui a pu filtré sur le portable démontrait que l’utilisation des téléphones diminuait les capacités de décision. Or sur la route, il faut pouvoir décider vite. Qu’importe si elle est bonne ou mauvaise, la décision doit être vive et sûre. Sans quoi les autres usagers ne savent pas ce que l’on veut faire. Et c’est là un risque plus grand de causer des accidents. Et, vous en conviendrez encore, quand on est à l’hôpital, dans le coma, ou à la morgue, la communication devient difficile.

Vers une meilleure utilisation du téléphone portable ?

Loin de moi l’idée de vouloir éradiquer les téléphones portables de la vie de tous les jours (même si je serais ravi qu’à la suite de cet article vous décidiez de rendre votre téléphone à votre opérateur, afin qu’il puisse recycler les éléments recyclables, sans en changer ultérieurement...), cet article est plus un appel vers une utilisation moins nocive du téléphone portable.

Apprendre à l’éteindre dans les situations qui le demandent (à table, au cinéma, au café, en voiture, dans le train, voire dans la rue pour garder une certaine vigilance). Apprendre aussi à mettre le vibreur quand on est dans les lieux publics pour garder un environnement sonore moins agressif. Eviter de passer des heures au téléphone quand on est en entretien avec quelqu’un d’autre. En bref, privilégier les relations vraies aux relations « en ligne ».

J’imagine que votre portefeuille ne sera pas en désaccord avec cela. Vos neurones non plus.

Car ce qu’il faut, ce n’est pas « communiquer plus », mais communiquer mieux. On ne montre pas en appelant la terre entière qu’on a des amis. On adhère juste ainsi à la logique très productiviste du quantitatif en délaissant le qualitatif. Or ce quantitatif ne vous profite pas forcément à vous, mais bien à votre opérateur. Sachant comme ces derniers sont sympathiques, vous leur rendriez la pareille en diminuant leur chiffre d’affaires.

Maintenant, si vous voulez continuer à téléphoner des heures et des heures, je vous demanderai de vous éloignez un peu. Je tiens à mes neurones et à votre vie privée.

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