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Comment on censure un débat en autorisant une manifestation.

lundi 19 janvier 2004, par Thomas Bourgenot

Ce samedi 17 janvier, c’était jour de mobilisation. Depuis quelques mois, le collectif Sortir du nucléaire avait préparé cette manifestation pour sensibiliser l’opinion sur la probable adoption du projet EPR. Ce projet vise à la construction d’un nouveau réacteur nucléaire en France (le 59e) qui ne serait que le premier d’une trentaine de nouvelles centrales. On a peu entendu nos grands médias sur ce sujet, et à part les pubs pour EDF ou Cogema quelque peu partisanes, il n’existe pas de « débat national » sur notre politique énergétique, ô combien risquée, et pour le moins contestable.

Mais, le préfet de Paris ne souhaite pas entendre parler de ces risques, et encore moins de cette contestation. Et la censure a été fine. Quand, il y a quelques jours, une demande pour organiser une manifestation contre la loi sur le voile lui a été faite, il avait trouvé le moyen du court circuit. Il s’est alors empressé de la signer, chose qui lui aurait été, on peut penser, plus difficile sans l’organisation de cette première manifestation anti-nucléaire. C’est donc au départ de la station République que les deux voix ont démarré, ce qui a du créer chez les journalistes un dilemme éminament cornélien pour le choix de leur couverture médiatique.

La réussite du plan de M le Préfet de Paris (inspiré par le Ministre de l’Intérieur) est sans appel. Des 15 000 (6 000 selon la police…) participants anti-nucléaire, pas un mot dans nos grands médias. Les journalistes ont choisi leur débat, et ont préféré avec un certain courage, le « nouveau » sujet si peu connu du grand public, j’ai nommé : la manifestation « pour le foulard », comme on a pu lire, ou plutôt « contre l’interdiction du port du voie », ce qui n’a rien à voir.

Libération fait son « événement » de cet événement, les radios en ont parlé, et les télés, il faudrait que j’en ai une pour savoir, mais j’imagine qu’ils ont pris de leurs précieuses minutes en prime time, pour pouvoir participer aussi à ce grand débat national(iste ?) qui aboutira peut-être à cette « nouvelle » loi sur la laïcité. On notera que Le Monde, dans un article décrivant les agitations sociales du week-end, nous fait quand même savoir, qu’à République samedi dernier, il y avait aussi une manifestation contre le nucléaire. Admirons ensemble cette belle introduction d’article très journalistique parisianiste :

« "Vous venez pour quoi ?", demande un jeune homme qui vend des keffiehs à la sortie du métro République, à Paris, samedi 17 janvier. "A droite, c’est contre le nucléaire ; à gauche, c’est pour le foulard..." A gauche, c’est plus nouveau. 7 000 personnes - peut-être davantage à la fin de l’après-midi - ont répondu à l’appel du Parti des musulmans de France (PMF). Mais les femmes et les hommes ne se mélangent pas. »

Pour une fois donc, Le Monde choisit la gauche. Et pour une fois, c’est dommage, car c’est ce même quotiden qui avait mis en garde le jour des manifestations, dans un petit article, contre le fait que ce tour de passe-passe administratif puisse « semer le trouble ».

On le voit donc, le résultat est clair, net et sans bavure pour le lobby pro-nucléaire : le débat sur la politique énergétique française ne sera pas pour janvier 2004. Et il y a fort à parier qu’il n’ait pas lieu non plus au cours de l’année. En effet, depuis l’été 2003, les informations sur le nucléaire sont classées « secret défense », qui fait planer le risque de 75 000 euros d’amende à quiconque les dévoile.

Le procédé employé ce week-end pour faire taire une contestation avait le mérite d’être inédit. On se devait de saluer bien bas cette nouvelle initiative politicienne à peine calculée, qui cherche à n’en pas douter, à aider à promouvoir la « neutralité » à l’école. Merci donc au Ministre de l’Intérieur de nous remettre dans le droit chemin du battage médiatique. Cela faisait au moins une semaine qu’on avait pas entendu le mot « voile », et c’était, il faut le reconnaître, beaucoup trop.

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