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Any fool can see

Marillion, le Trianon, le 18 janvier 2013

mardi 22 janvier 2013, par Sébastien Bourdon

Dans les années 80, poursuivant talentueusement l’héritage du Genesis des seventies, Marillion était parti pour conquérir le monde, l’a d’ailleurs presque fait, mais son leader – le chanteur Fish – s’est cru très important et a déserté le navire pour un parcours en solo. Las, sa carrière postérieure, en dents de scie ébréchée n’intéresse aujourd’hui plus grand monde, alors que son ancien groupe, avec le chanteur Steve Hogarth comme remplaçant talentueux derrière le micro, s’il n’a plus jamais tutoyé les sommets populaires passés, continue à produire régulièrement une musique audacieuse (et belle).

J’avoue suivre irrégulièrement leur pléthorique discographie, mais ai quand même au fil du temps grandement savouré des albums comme Clutching at Straws (1987), Holidays in Eden (1991), Marbles (2004) et le dernier en date, Sounds That Can’t Be Made (2012). S’agissant de ce dernier opus, c’est justement celui-là qui m’a décidé à les voir enfin sur scène, considérant ce disque comme le meilleur album paru l’an dernier, tous genres confondus, il ne quitte d’ailleurs toujours pas ma platine.

L’on parle ici de rock progressif anglais. Les membres du groupe ne sont plus vraiment des perdreaux de l’année, voilà trente ans qu’ils exercent leur art, mais ils sont toutefois entrés dans la carrière alors que leurs glorieux aînés n’y étaient plus vraiment (Yes, Genesis s’éloignaient du genre pour devenir radio-friendly, King Crimson n’existait plus que par intermittence). De cette nouvelle vague du « prog » britannique, ils restent les seuls à avoir connu un succès de masse et à durer, nonobstant la perte de leur premier leader Fish et l’enregistrement d’une musique somme toute exigeante (vous en connaissez des jeunes d’aujourd’hui capables d’écouter des morceaux de musique qui durent plus de trois minutes ?).

Pour une raison que j’ignore, l’écoute de cette musique me plonge dans une forme mélancolique de béatitude, et ce sans le soutien d’aucun psychotrope. D’aucuns trouveraient peut-être certaines facilités dans leur production, et des sonorités discutables ou datées (de claviers parfois), mais l’intensité chromatique de cette musique remplit l’espace sonore de manière admirable. J’en ai même l’impression d’une subtile suspension du temps. Si l’on résume, quand j’écoute Marillion, la vie est triste, mais belle (peut-être parce qu’elle est triste).

Tout cela nous amène donc au Trianon parisien, salle typiquement 19ème siècle, récemment rouverte au public. Le lieu est superbe et la neige qui tombe au dehors donne à l’ensemble une indiscutable tonalité poétique. On se croirait au théâtre, dans la maison de poupées d’Ibsen. Je croise d’ailleurs le bassiste de Marillion, Pete Trevawas, qui ne résiste pas à l’envie d’apprécier cela de plus près et ouvre une des porte fenêtre du bar pour photographier la blancheur immaculée qui a recouvert le boulevard Rochechouart. Il se fait du coup gentiment houspiller par les vigiles qui, évidemment, ne le reconnaissent pas et menacent de le laisser dehors.

En attendant le spectacle, je flâne en ces lieux charmants, mais renonce à acquérir un teeshirt, ils sont bien trop vilains et l’été semble bien loin ce soir.

En première partie, je découvre un rock atmosphérique teinté de sonorités orientale (duo guitare - tabla, les Rodrigo y Gabriela d’Islamabad en quelque sorte, mais je n’ai pas noté leur nom). Aussi sympathique que soit leur prestation, je les abandonne pour une petite bière avec ma créature. J’ai eu raison de venir avec une fille, parce que pour l’instant, j’ai du en croiser quatre en tout et pour tout.

Avec un retard du à des problèmes de clavier, le concert commence enfin, avec la longue pièce "Gaza" (17 minutes !), qui ouvre le dernier album. Comme le précisera le chanteur Steve Hogarth à son issue, "this song is not against Israël, it´s against the whole fuckin’ world". Si le son est un peu brouillon au départ, cette ouverture permet de constater d’emblée à quel point ce groupe est affuté et tout à la maîtrise de son art, le plus impressionnant en terme de virtuosité musicale étant certainement leur guitariste, Steve Rothery, d’une subtilité et d’une délicatesse exceptionnelles.

Chose peu commune, mais attestant de leur créativité intacte et de leur souci d’éviter la redite comme la nostalgie, ledit dernier album est joué dans sa quasi intégralité au cours de la soirée. Et personne ne s’en plait, alors que le public est majoritairement composé de fans historiques qui auraient pu réclamer quelques vieilleries ayant fait leurs indiscutables preuves. Finalement, le seul défaut de ce groupe est que nombre de titres dépassent allègrement dix minutes, ce qui est réjouissant puisque « plus c’est long plus c’est bon », mais interdit quand même d’avoir un aperçu global de leur carrière le temps d’un seul concert.

Comme évoqué, tous les musiciens sont exceptionnels, mais le chanteur Steve Hogarth m’a littéralement fasciné. Son prédécesseur, Fish parti en 1988, était un géant à même de dévorer toutes les scènes. Lui succéder quand on est un petit brun ne fut sûrement pas chose facile, mais force est de constater qu’il a pris sa place et même imposé au groupe sa propre identité. Hogarth vit complètement le truc, jouant les chansons comme autant de rôles, sans avoir peur parfois d’être un peu ridicule. C’est ce qui lui permet paradoxalement de ne jamais l’être, quasi shakespearien dans l’interprétation des texte, mais n’oubliant jamais d’être drôle et spirituel (de l’humour anglais de très bonne facture).

En dehors des extraits du remarquable dernier opus (j’insiste), le concert a tutoyé la stratosphère avec "Neverland" (extrait de "Marbles", peut-être ma chanson préférée au monde, carrément) et "Warm Wet Circles" (extrait de "Clutching at straws"). S’agissant de ce dernier titre, originairement interprété par Fish, Hogarth a fait montre une fois encore de sa classe absolue, galvanisant, si besoin était, un public aux anges.

Il est souvent cruel de quitter une salle, à l’issue d’un concert magnifique, pour battre un pavé où ne résonne aucune musique. Cette fois fut différente. La neige n’ayant cessé de tomber, Paris était noyé dans la blancheur et le froid, nous permettant en quelque sorte de poursuivre ce spectacle miraculeux par un autre rêve éveillé. Nous avons donc descendu le boulevard Rochechouart à pied, comme l’on aurait descendu de la montagne enchantée. Arrivés place de Clichy, un troquet servait opportunément des vins chauds, on en a bu un avant de reprendre la route. La vie est parfois merveilleuse.

"Like a mother’s kiss on a first broken heart".

Sébastien

P.S. 1 : comment occuper douze petits garçons venus pour un anniversaire ? En les emmenant au cinéma voir Comme un Lion de Samuel Collardey, film qui raconte l’itinéraire cruel mais victorieux d’un jeune sénégalais espérant vivre du football en France. Je m’intéresse peu au football, mais le film est réalisé sans pathos, avec beaucoup de justesse et de subtilité, et a donné l’occasion aux enfants de voir un autre aspect de ce sport qui les passionne tant. Ils ont applaudi à la fin du film.

P.S. 2 : je me suis offert le même jour une gourmandise cinéphilique, To be or not to be de Lubitsch (1942), au cinéma, sur grand écran. Une forme achevée de bonheur moderne (enfin, au XXème siècle).

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